Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/129

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme ce soir, deux ou trois cents personnes, aux complimens obligeans desquelles on tâche à répondre de son mieux, en leur serrant énergiquement la main. Aussi bien suis-je fait, depuis une quinzaine de jours, à ce genre d’exercice, et il faut croire que, sans m’en douter, non seulement je m’en tire assez bien, mais encore j’y prends plaisir, puisque au milieu de ce défilé un monsieur qui m’observe se penche et me dit à l’oreille : « N’est-ce pas qu’Elles ne sont pas plus mal que si Elles faisaient autre chose ? » Il a raison ! et je le remercie d’avoir traduit si spirituellement ma pensée. « Elles ne sont pas plus mal » ; et à lire du grec ou même de l’hébreu, ni ces yeux ne se sont ternis, n’ont rien perdu de l’éclat moqueur qu’on aime à voir briller aux yeux des jeunes filles ; ni ces visages n’ont pâli ; ni ces tailles ne se sont déjetées, ni rien enfin ne s’est évanoui de cette gaîté légère qui fut donnée aux femmes, comme disait Bernardin de Saint-Pierre, « pour dissiper la tristesse de l’homme »... Je m’en souviendrai la semaine prochaine, à Cambridge, où je parlerai de Molière.


Baltimore, 10 avril. — C’est tout à l’heure que je quitte Baltimore, et, je l’avoue, ce ne sera pas sans un peu de mélancolie ! Dix-huit jours, c’est bien court ! mais la parole publique établit tant de liens, et si vite, entre un auditoire et un conférencier, que c’est une ville amie qu’il me semble quitter ; — et aussi bien n’ai-je pu m’empêcher de le dire hier, à la fin de ma dernière conférence. J’y reviendrai prochainement : j’ai promis au cardinal Gibbons d’assister à la célébration de la messe du jour de Pâques dans sa cathédrale. Mais je ne ferai que passer ; et c’est bien aujourd’hui que je pars. Je me réveillerai demain à Boston.


FERDINAND BRUNETIERE.