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a voulu qu’Orosmane, prenant ce frère pour un amant, assassinât Zaïre. C’est ce qu’on appelle un roman, et comme Fa dit Corneille « la réduction de la tragédie au roman est la pierre de touche qui sert à distinguer les actions nécessaires d’avec les vraisemblables. » Il n’y a pas d’ « actions nécessaires » dans la tragédie de Voltaire ; on pourrait même prétendre qu’il n’y en a pas de vraisemblables. La tragédie retourne ainsi à ses origines : c’est un genre ou une espèce » qui n’a duré qu’un temps, le temps que les conditions de « milieu » l’ont favorisée. Et, ce qui complète la démonstration, elle ne meurt pas, à proprement parler, elle se transforme : sa ressemblance est frappante maintenant avec ce qu’elle était avant d’être « la tragédie, » quand elle était la « tragi-comédie » ; et comme une observation juste va toujours bien au delà des faits qu’elle essayait d’expliquer, celle-ci nous aide à concevoir ce qu’il y a de commun, non seulement entre le drame d’Hugo et la tragédie de Voltaire, mais, de plus, ce qu’il y a de commun aussi entre le drame romantique et la tragi-comédie du temps de Louis XIII, de Mairet et de Rotrou.


Bryn Mawr, 8 avril. — On ne saurait imaginer de « collège » mieux situé que celui de Bryn Mawr, en pleine campagne, « sur le penchant d’une verte colline », de plusieurs collines même, et avec des horizons « faits à souhait pour le plaisir des yeux. » Les vastes bâtimens qui le composent me donnent une impression de solidité que je n’avais pas encore éprouvée. C’est un collège d’études supérieures, une véritable Université de femmes. On y apprend le latin et le grec, le sanscrit et l’hébreu, la physiologie comparée, les mathématiques supérieures, la physiologie, la biologie. Le chiffre des étudiantes est de 285, cette année, sur le nombre total desquelles il n’y en a pas plus de cent, me dit-on, qui se destinent à l’enseignement. Cela fait donc, dans un seul établissement, plus de deux cents jeunes filles qui aiment la science pour elle-même, et assurément, sans être féministe, ce n’est pas moi qui le leur reprocherai. Faites du latin, mesdemoiselles, et en dépit d’un certain Molière, faites du grec ; faites-en pour vous-mêmes ; et faites-en aussi pour les petits Européens qui le désapprennent tous les jours !... Mais je m’expliquerai plus tard sur ce point, quand j’en aurai le temps.

Pour le moment j’ai des devoirs à remplir, car je suis le héros d’une réception à l’américaine : cela consiste à se voir présenter,