son domicile, ses habitudes et sa vie à Saint-Louis ou à Chicago. Et la raison n’en est pas un besoin de changement, une impatience d’être aux mêmes lieux, une inquiétude, une agitation qui ne saurait se fixer, mais, à mon avis, la confiance qu’il a d’être et de se retrouver partout le même, et lui-même. La personnalité d’un vrai Américain lui est intérieure. Il est chez lui partout comme étant partout lui. Le déplacement, qui nous aide, nous, à nous fuir, lui procure, à lui, la sensation de son identité. Preuve encore de jeunesse et de force ! Il vieillira, sans doute ; et déjà, je n’ai pas de peine à me rendre compte que, si je m’enfonçais dans l’Ouest, chaque tour de roue m’emporterait d’un monde plus vieux vers un monde plus nouveau. Mais, en attendant, et ici même, où l’on respire pourtant un peu d’histoire, c’est bien ce qui les distingue de nous. Ils sont plus jeunes ! et ne serait-ce pas précisément ce que n’aiment pas en eux quelques observateurs ?
Je ne voudrais pas abuser de la métaphore, et je n’ai garde de rapporter toutes mes impressions à cette « jeunesse » du peuple américain. Ce serait trop facile ! et, comme tout ce qui est si facile, plus spécieux que vrai. Un Irlandais, un Allemand, apportent en Amérique le tempérament qu’une longue hérédité leur a fait. Mais les circonstances mêmes au milieu desquelles ils se trouvent jetés sont telles qu’il leur faut s’y adapter promptement ; et une sélection un peu brutale a vite fait d’ » américaniser » ceux qu’elle n’élimine pas.
On s’explique par là qu’ils aient à la fois beaucoup d’orgueil, et peu de vanité. C’est que non seulement ils sont ce qu’ils sont, mais ils ne sont que ce qu’ils sont. Un prêtre allemand, que je ne connais point, m’a l’autre jour abordé dans la rue pour me faire des plaintes sur la condition des ouvriers américains, et me dire en substance qu’en Amérique pas plus qu’en Europe la liberté n’avait résolu la question sociale. Je l’en ai cru très aisément. Mais il oubliait deux points : c’est qu’ici la concurrence est la « règle du jeu » pour ainsi parler ; la convention qu’on a souscrite en s’embarquant pour l’Amérique, je dirais presque en naissant ; et puis il oubliait que l’âpreté de cette concurrence a des compensations qu’on n( ! trouve point ailleurs. Les distinctions qui s’établissent ici entre les hommes sont solides, elles sont réelles, ne dépendent pas ou dépendent bien moins qu’en Europe d’aucun caprice ou aucun arbitraire. Il y a bien des « dames coloniales », il n’y a point de vieille aristocratie. Il y a d’énormes fortunes,