Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ménage, de cuisine, pour y échanger leurs idées, et au besoin, quand elles sont philosophes, « pour y commenter le livre de Job considéré comme exemplaire des misères de l’humanité. » Miss K... est fière, et à juste raison, d’avoir appris aux dames de Baltimore, qui l’avaient, paraît-il, un peu oubliée, l’importance de la cuisine ; et aussi de leur avoir conquis sur les écoles un droit de haute inspection dont le premier résultat a été d’obtenir que les salles de classe fussent balayées plus de trois fois l’an. Elle est naturellement « féministe », et je ne serais pas étonné qu’elle rêvât d’électorat politique. Miss G... aussi est féministe à sa manière, et d’une manière que l’emploi qu’elle fait de sa grande fortune a rendue singulièrement efficace. C’est elle dont la générosité a permis à l’Université Johns Hopkins de compléter l’organisation de sa faculté de médecine, et elle n’y a mis qu’une condition, c’est à savoir que les femmes seraient admises à y prendre leurs grades. Elle est encore la bienfaitrice de ce grand collège féminin de Bryn Mawr où j’irai parler après-demain. Elle a fondé à Baltimore même une école, Bryn Mawr School, préparatoire à ce collège. Elle s’occupe en même temps de vingt autres affaires, qui sont de grandes affaires, et qu’elle dirige avec une lucidité d’esprit, une fermeté de caractère, et une énergie de résolution admirables. Cela encore paraît ici tout naturel. Une femme s’appartient à elle-même. On n’exige point d’elle, comme chez nous, qu’elle tienne pour ainsi dire quatre ou cinq personnages ensemble. Les préjugés ne l’obligent point de dissimuler ses aptitudes ou de déguiser ses goûts. Elle a le droit d’être elle-même, et, comme on le voit, elle en use.

Il y a sans doute quelque rapport entre cette liberté d’être soi-même et je ne sais quelle indépendance de notre personne à l’égard « des airs, des eaux et des lieux », à l’égard des habitudes dont nous nous faisons en Europe comme autant de liens, et généralement à l’égard de l’ « ambiance » physique ou morale. Omnia mecum porto, disait un sage de l’antiquité : l’Américain ressemble à ce sage. Baltimore, je l’ai noté, est une ville de « résidence », une ville où l’on est déjà moins mobilisable, en quelque sorte, et plus attaché, plus ancré qu’à New-York. On n’y campe point ; on y habite ; et la maison même y a l’air enfoncée plus profondément en terre. Cependant, s’il le fallait, on sent, et à n’en point douter, que l’habitant, avec plus de facilité que nous n’allons de Paris à Saint Germain, transporterait, dois-je dire son home ? mais en tout cas