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Les étudians de l’Université Johns Hopkins, plus courtois que les nôtres, n’ont pas exclu les femmes de ces conférences. On ne croit pas sans doute à Baltimore que la parole d’un professeur ou d’un conférencier soit la « propriété » particulière ou personnelle des étudians, ni non plus qu’elle soit nécessairement vide ou superficielle, dès que les femmes la comprennent. On ne croit pas davantage, et j’en fais la remarque avec un singulier plaisir, que l’enseignement qui se donne dans une Université protestante doive être interdit, ni suspect, à des séminaristes catholiques.


C’est une courte histoire de la poésie française que j’ai promis de résumer en neuf leçons, et, depuis trois mois que je songe aux difficultés du sujet, j’y ai beaucoup appris moi-même. Ainsi, je me suis rendu compte que ce qu’il fallait éviter avant tout, c’était de me placer à « un point de vue purement français », lequel évidemment ne saurait être celui des Anglais ni des Américains. Il y a quelque chose de Shakspeare et de Shelley qui nous échappera toujours ; et pareillement, des étrangers ne goûteront jamais ce que Racine ou André Chénier ont de plus exquis pour nous. Je fais donc passer au second plan des considérations de forme ou d’art pur que je mettrais au premier, si je parlais en France, à un auditoire français ; et il en résulte une ordonnance ou une distribution du sujet à laquelle j’avoue que je ne m’étais pas attendu. Tout imparfaites que soient nos vieilles Chansons de geste, et nos Romans de la Table ronde, il me devient impossible de ne pas leur faire dans ces conférences une place dont l’étendue réponde à l’étendue d’influence qu’elles ont jadis exercée sur la littérature européenne, qu’elles y exercent encore ; et en quel lieu du monde m’y sentirais-je obligé plus étroitement qu’ici, où le poète souverainement noble des Idylles du Roi, Tennyson, n’a sans doute pas moins d’admirateurs qu’en Angleterre ? et peut-être où l’auteur de Tristan et Iseut en a plus qu’en Allemagne ? C’est peu de chose, je le sais bien, que l’invention du « sujet » ou du « fond » ; et je me rappelle fort à point que personne ne l’a mieux montré qu’Emerson, dans son Essai sur Shakspeare. Mais il y a plus que le sujet, dans nos Chansons de geste ou dans nos Romans de la Table ronde ; il y a le sentiment du sujet ; et rien n’y manque, à vrai dire, que le sentiment de la forme ou de l’art... Je ne puis consacrer moins de trois leçons sur neuf à la Poésie française du moyen âge.