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rectiligne n’est pas aussi devenu le nôtre ? C’est surtout en gravure que les vieilles rues sont poétiques ! Dans la réalité on n’y respire pas ; on y voit mal ; et elles sentent mauvais. Ici d’ailleurs, bien plus qu’à New-York, où presque toutes les maisons dans un même quartier se ressemblaient, la diversité des architectures met un élément de gaîté dans la monotonie de la rue. Un peu de tous les styles s’y mêle dans un désordre qui divertit et amuse les yeux. La brique même y paraît moins sombre, d’un rouge plus vif et plus jeune. Des verdures grimpantes, et la blancheur des escaliers de marbre, en atténuent la crudité. La pierre alterne avec la brique. Voici quelques maisons d’aspect « colonial » ou créole, — telles qu’il y a quarante ans on me décrivait celles de la Guadeloupe ou de la Martinique, — une entre autres qu’on ne manque pas de signaler aux Français : l’ancienne maison des Patterson, où ce jeune prodigue de Jérôme Bonaparte, ainsi que l’appelait son grand frère, fit danser pour la première fois Elisabeth Patterson... Il est fâcheux seulement que ces rues soient si mal pavées ; et je ne puis m’empêcher d’en faire la remarque à l’aimable M. Gilman, mais il en convient avec tant de bonne grâce que j’ai honte aussitôt de mon observation. Je m’abstiens également de lui rien dire de quelques masures dont la misérable apparence jure avec l’air d’aisance et de confort que respire toute cette ville haute. C’est ce qu’on voit partout, et ce contraste ne m’est pas nouveau. En somme, l’impression générale est bien celle qu’exprimait un romancier américain, M. George Cable, assez connu de nos lecteurs, quand il disait de Baltimore que « l’aspect en est tout à fait méridional. » Et, comme on lui demandait de s’expliquer un peu plus amplement, il insistait sur ce même air d’aisance, et sur l’allure agréablement nonchalante des promeneurs des rues de Baltimore. Ville de loisir, ville de « résidence », où le nègre même a l’air heureux, et la négrillonne encore davantage ! Il faut pourtant songer à ma première conférence.


Baltimore, 25 mars. — Ma surprise est extrême, et mon étonnement joyeux de me trouver en présence de six ou sept cents auditeurs. Au premier rang, le cardinal Gibbons, et tout à côté de lui, M. Patenôtre, notre ambassadeur. Le fond de la salle est décoré d’un trophée de drapeaux américains et français. M. Gilman prend la parole ; et tout en l’écoutant, — d’une oreille, hélas ! moins intelligente qu’attentive, — je parcours des yeux mon auditoire.