rahat loukoum, je crois, des bâtons de guimauve. Ce ne sont plus les odeurs de Paris, mais celles de Marseille ou de Gênes ; et en effet je me souviens que je suis dans une ville maritime. Que dis-je, dans une ville maritime ? C’est dans une île qu’il faut dire, où je devrai donc trouver tout naturel que les mœurs et les institutions « flottent » en quelque sorte ; — la remarque est d’un ancien, qui n’avait pas vu l’Amérique ; — et que les maisons elles-mêmes n’aient pas pu réussir encore à « se fixer. » Une grande ville maritime a presque toujours l’air d’être née d’hier ; on a bientôt fait d’en compter les « monumens » ; et combien de fois ne me suis-je pas émerveillé que, de toutes nos villes de France la plus ancienne, celle qui existait avant qu’il y eût une France, et avant même que la Gaule eût un nom, c’est Marseille, fût cependant aussi l’une des plus modernes, l’une de celles où l’on retrouve le moins d’histoire, et, pour ainsi parler, où l’on respire le moins de passé.
Ne nous lassons pas de comparer : c’est le vrai moyen de comprendre, et en tout cas, c’est le seul que je sache de m’assurer moi-même de la nouveauté de mes impressions. Il y a 70 ou 80 000 Italiens à Marseille, et on y comptait jadis beaucoup de Grecs et de Levantins. Ici, à New-York, il y a 4 ou 50 0 000 Allemands, et combien d’Irlandais ? pour ne rien dire de plusieurs milliers d’Italiens, de Français, de Grecs, — ceux-ci s’embarquent en ce moment par centaines, musique en tête, suivis jusqu’au paquebot d’acclamations et de vœux ; — et je néglige les Chinois, les Japonais, les nègres. Faut-il avouer que de ces derniers je ne crois pas en avoir encore vu l’ombre d’un, non pas même dans l’hôtel où je suis descendu ? Mais il me suffit qu’il y en ait ; et je ne suis pas surpris que tout cela fasse ensemble un mélange, une bigarrure où l’on a peine à démêler quelque chose de « très américain ». Les rues marchandes, la 23e, la 14e, Broadway, sont pleines d’une foule anonyme et quelconque, ni très bruyante, ni très affairée. De nombreux flâneurs sont assis sur les bancs des squares... Une grande ville « cosmopolite », une très grande ville, une ville énorme, où je crois retrouver des traits de Paris et de Marseille, de Gênes, d’Anvers et d’Amsterdam ; une ville où quelques différences, très légères, soupçonnées plutôt que senties, supposées plutôt qu’éprouvées, indéfinissables pour le moment, s’effacent et se noient dans la multiplicité des ressemblances ou des analogies, — telle m’apparaît d’abord New-York ; et aussi comme une ville