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était leur sentiment secret ; ils se seraient défendus avec indignation si on les avait accusés d’être des persécuteurs, mais il leur arrivait assez souvent de manquer de cette tolérance que M. Méline déclare, avec raison, être dans l’esprit, dans le caractère et dans la volonté du pays. Cela veut-il dire que, comparativement à eux, le gouvernement d’aujourd’hui soit clérical ? Non, à coup sûr. Il n’y a pas un mot dans les déclarations de M. Méline qui le laisse supposer, et, ce qui est plus important, il n’y a rien dans ses actes qui permette de le soutenir ; les paroles et les actes sont parfaitement d’accord ; mais jamais encore un ministre n’avait dit d’une manière aussi nette qu’il poursuivait l’apaisement des consciences, qu’il respectait sincèrement l’idée religieuse, et qu’il reconnaissait, dans les querelles que cette idée soulève, une cause d’affaiblissement au dedans et au dehors. Si la droite éprouve quelque satisfaction à entendre ce langage, tant mieux ; évidemment il n’est pas fait pour lui déplaire ; mais, évidemment aussi, il n’y a pas un républicain modéré et tolérant qui puisse s’en offusquer.

La situation, telle que M. Méline l’a décrite, paraît établie sur des bases assez solides pour résister longtemps encore aux entreprises des partis avancés. Les vacances parlementaires ont été bonnes pour le gouvernement. Nous ne parlons pas seulement de la joie générale qu’a fait naître la proclamation de l’alliance franco-russe ; M. le président du conseil s’est défendu de se servir de la politique extérieure pour influer sur la politique intérieure ; pourtant, il y a entre l’une et l’autre un lien étroit qui ne saurait échapper même aux yeux les moins perspicaces. La satisfaction que le pays a éprouvée en recueillant l’écho des toasts de Saint-Pétersbourg et de Cronstadt est assurément de nature à le disposer à la bienveillance envers ceux qui la lui ont procurée. Mais ce qui consolide encore plus le ministère, c’est sa durée déjà acquise. D’autres s’affaiblissaient à mesure qu’ils se prolongeaient ; celui-ci, au contraire, s’est fortifié. Il a eu la bonne fortune de trouver, de démêler, de grouper autour de lui la vraie majorité parlementaire, cette majorité dont on avait longtemps nié l’existence et dont on avait fini par désespérer. Elle existait pourtant ; il n’est plus possible de le contester. La démonstration en est faite avec une telle clarté, que le ministère pourrait tomber maintenant sans qu’elle en fût absolument détruite. A Dieu ne plaise que cette hypothèse se réalise ! Le ministère paraît solide ; mais enfin les hasards parlementaires sont grands, et tous les ministères finissent par succomber. Mais celui-ci succomberait demain, qu’il n’en aurait pas moins duré trois fois plus longtemps que le cabinet radical, et dépassé dans des proportions très sensibles la