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encore un bon effet sur le pays, et ils cherchent à en couvrir leur déroute. Telle est l’histoire du parti radical socialiste pendant cette législature. C’est ainsi que M. Méline l’a racontée, et chacun n’a qu’à faire appel à ses souvenirs pour en constater l’exactitude.

La droite devait évoluer, elle aussi, dans un monde où tout évoluait. Son intelligence politique et son patriotisme ne lui permettaient pas de méconnaître l’importance des questions nouvelles qui étaient posées. Il ne s’agissait plus seulement de la forme et du nom à donner au gouvernement du pays, problème très grave à coup sûr, mais qui semblait, même à ses yeux, résolu pour assez longtemps. La lutte était portée sur un autre terrain, où l’ordre social lui-même était mis en cause, et où la propriété était menacée à la fois dans son principe et dans l’organisation que les siècles lui ont donnée. Il s’agissait de savoir si elle resterait individuelle ou deviendrait collective, c’est-à-dire si on s’engagerait dans une révolution infiniment plus redoutable que toutes celles du passé, et cela au milieu des provocations à la haine des classes et des passions qu’elles devaient inévitablement déchaîner. Nous avons eu à déplorer trop souvent que des hommes qui se disent conservateurs s’alliassent avec les radicaux pour renverser un ministère insuffisamment docile, ou insuffisamment faible devant les prétentions de ces derniers ; mais l’esprit de parti a des bornes, et s’il a pu permettre à la droite de donner quelquefois son concours aux radicaux, il ne pouvait jamais lui permettre de le donner aux socialistes. Or, il n’y a plus aujourd’hui d’autre concentration républicaine que celle des radicaux et des socialistes, et c’est en face de cette alliance que la droite se trouvait placée. Elle n’hésitait pas, il y a quelques années, à se joindre à M. Clemenceau pour donner quelque bonne leçon aux modérés. Elle s’amusait à ce jeu, qui lui semblait innocent. Mais aujourd’hui le danger serait tout autre, et la responsabilité deviendrait plus lourde, si la droite continuait les mêmes exercices avec M. Jaurès, doublé de M. Bourgeois. Elle l’a compris, et c’est un des motifs, sinon même le principal, qui l’ont déterminée à donner assez généralement son appui au ministère actuel. Il n’y a aucune entente préalable, il n’y a aucun contrat entre le ministère, et la droite. Une situation politique aussi profondément modifiée a naturellement amené une autre attitude de la part de tous les partis. Cela s’est fait spontanément, librement, sans que nul d’entre eux ait aliéné la moindre fraction de son indépendance. Le gouvernement garde la sienne, et il en use ; la droite garde la sienne, et elle s’en sert comme il lui convient. M. Méline a déclaré qu’on ne lui avait rien