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reculer, au moins de s’arrêter. Quand les radicaux s’en apercevaient, ils ne tardaient pas à se rendre compte qu’ils avaient tiré d’un ministère animé de pareils scrupules tout ce qu’ils pouvaient en attendre, et ils changeaient aussitôt d’attitude à son égard. La pompe aspirante devenait refoulante. Pour cela, le procédé était des plus simples. Les radicaux s’entendaient avec la droite pour renverser le cabinet, et ils la trouvaient toujours prête à cette besogne. Elle ne demandait d’ailleurs aucun salaire pour l’accomplir. Quelquefois même elle avait à en pâtir, et les radicaux, afin de montrer l’indépendance de leur cœur, exigeaient un redoublement de persécution, soit contre elle, soit contre les intérêts qui lui étaient chers. N’importe : elle avait La satisfaction d’avoir démoli quelque chose. Elle espérait qu’à force de changer, on reviendrait peut-être à des combinaisons qui lui plairaient davantage. En tout cas elle entretenait dans la république, avec une extrême mobilité gouvernementale, le sentiment que rien n’y était durable, et par conséquent que le régime lui-même ne pouvait inspirer aucune sécurité. Il est surprenant qu’on ait pu vivre de la sorte pendant un si grand nombre d’années, et que la république soit sortie fortifiée de tant d’épreuves au lieu d’en sortir affaiblie.

Enfin, un double phénomène s’est produit dans le monde politique. La droite est revenue à des idées plus sages, à des sentimens plus apaisés. M. Méline constate le fait sans rechercher les causes multiples d’où il dérive ; mais il en relève une, qui n’a certainement pas été des moins actives, et qui a dû agir sur la droite comme elle l’a fait sur tous les autres groupes politiques. Aux élections dernières, les socialistes sont entrés à la Chambre.

Ce parti, qui n’existait pas dans les anciennes législatures, ou qui n’osait pas s’avouer parce qu’il avait conscience de sa faiblesse, s’est trouvé être presque subitement un des facteurs parlementaires avec lesquels il a fallu compter. Le talent de parole de quelques-uns de ses chefs a ajouté à son importance. Dès lors, les radicaux se sont demandé s’il n’y avait pas pour eux un autre rôle à jouer que par le passé. Ils s’étaient contentés jusqu’alors d’influer sur le pouvoir, et d’en détenir une partie. Pourquoi leur tour ne serait-il pas venu de s’en emparer et de l’exercer intégralement ? Aussi longtemps qu’ils ne pouvaient former avec la droite que des majorités provisoires, des coalitions de hasard et de rencontre, ils n’avaient pas les moyens de soutenir une pareille prétention. Renverser un ministère avec la droite, soit ; mais gouverner avec elle leur était difficile, ou pour mieux dire impossible. Ils n’avaient pas les mêmes répugnances à gouverner avec