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scènes de ses romans, prises en particulier, un relief et un mouvement qui les font paraître vivantes. C’est un art que, sans doute, il a appris à l’école de Dickens, car il n’y a rien chez lui dont on ne sente qu’il l’a appris quelque part ; mais il l’a bien appris, et plusieurs des épisodes de son Chrétien, par exemple, sont traités d’une main vraiment très adroite. Et puis il sait écrire, ce qui n’est pas commun chez les romanciers de sa sorte. Dans les styles les plus différens il se meut à l’aise, avec une correction élégante et ferme, rehaussant ainsi d’une pointe de littérature la vulgarité ou l’invraisemblance de ses inventions romanesques. Enfin il connaît l’île de Man, et cela non plus n’est pas chose commune. Il en connaît à la fois les paysages et les mœurs, l’apparence extérieure et l’âme profonde. Les descriptions qu’il en fait, dans presque tous ses livres, sont pleines de couleur et de vérité : là seulement on a l’impression qu’il est sincère, et s’intéresse lui-même à ce qu’il nous dit. En touchant le sol de l’île de Man, c’est comme si ses personnages s’animaient d’une vie nouvelle ; et rien n’est curieux, à ce point de vue, comme de comparer les charmantes lettres écrites par Glory durant son séjour au presbytère du révérend Quayle avec celles qu’elle écrit de Londres, maniérées et prétentieuses, semées de mots d’auteur d’un goût souvent douteux.

Mais toutes ces qualités ne suffisent pas à qui se mêle d’écrire un roman chrétien. Et je sais bien, après cela, que l’île de Man n’est pas une île comme les autres, puisque les chats, par exemple, y naissent sans queue ; mais je ne puis m’empêcher de croire que le châtelain de Greba lui a fait injure en la supposant capable de produire une aussi fâcheuse espèce de « chrétien » que celle de ce John Storm, mauvais prêtre et mauvais amant, profanant la foi qu’il prétend servir !


T. DE WYZEWA.