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littérature en honneur parmi les hommes de lettres anglais. » C’est en tout cas, certainement, le genre de littérature que le public anglais préfère à tous les autres, pour les préoccupations religieuses qu’il y trouve ou s’imagine y trouver. Des citations de la Bible, des extraits de sermons, un ton général de solennité : il n’en faut pas davantage pour lui faire prendre au sérieux l’histoire la plus « temporelle » qui soit, et pour la lui rendre amusante par-dessus le marché. Car le résumé qu’on a lu plus haut ne saurait donner une idée de la gaucherie du roman de M. Hall Caine, de sa longueur et de sa monotonie, de ses incessantes répétitions des mêmes scènes dans les mêmes circonstances. Le livre est trop long de moitié, sans profit aucun. Il est plein d’erreurs et d’invraisemblances. On y lit que « Dieu a épargné Sodome en faveur de Loth. » Glory, avec les instincts qu’on lui connaît, traverse les théâtres et les cafés-concerts, et jusqu’aux bouges les plus mal famés de l’East-End, sans ternir une seule fois sa pureté de vierge. John Storm rompt ses vœux, se fait exclure du couvent où on l’a recueilli, et n’en reste pas moins, pour le supérieur et tous les frères de ce couvent, un objet de tendresse et de vénération. Il a des aventures plus fantastiques que toutes celles du prince Rodolphe, dans les Mystères de Paris. Et le roman entier, d’ailleurs, semble une adaptation des procédés littéraires d’Eugène Sue à la vieille histoire de Manon Lescaut. Mais l’auteur affirme qu’il y a « incarné une pensée » ; il déclare qu’il a « fait emploi, pour son livre, des journaux intimes, lettres, mémoires, discours et sermons de diverses personnes, vivantes ou mortes. » Et les lecteurs anglais dévorent pieusement ces 460 pages, et des journalistes se trouvent pour comparer le Chrétien aux nobles et pures méditations du cardinal Newman !


Non que M. Hall Caine soit dépourvu de talent. Il a d’abord le ta lent de se faire valoir, en choisissant pour chacun de ses livres le genre et le ton les plus à la mode. Des sept romans qu’il a écrits jusqu’ici, aucun ne ressemble à l’autre ni par le sujet, ni par le style, mais tous sont également venus à leur heure, puisqu’il n’y en a pas un qui n’ait réussi. Et si dans chacun d’eux les critiques ont relevé à peu près les mêmes défauts que je viens de signaler dans l’histoire de John Storm, une certaine disproportion entre les visées et le résultat final, une composition trop monotone avec trop de redites, mais surtout quelque chose d’affecté et qui sonne un peu faux, ils n’ont pu s’empêcher cependant d’y reconnaître aussi de précieuses qualités. M. Hall Caine ne sait pas composer un roman, mais il sait donner aux diverses