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une fois, je ne veux point parler parce que je n’y comprends rien, parce que, paroles et musique, cela représente aujourd’hui pour ma faible raison le commencement, peut-être plus que le commencement de la folie, aussi bien dans l’ordre des mots que dans l’ordre des sons. A propos de cette quadruple élucubration, qui porte pour titre ce quadruple génitif : De rêve… De grève… De fleurs… De soir…, on pourrait essayer une définition, voire une étude de l’inintelligible musical. Non seulement cette forme ou cette catégorie de l’inintelligible existe, — un tel recueil le démontre assez, — mais elle a quelque chose de plus pénible que la forme poétique ou verbale : c’est que l’ennui de ne pas comprendre, la gêne purement intellectuelle, s’y complique et s’y aggrave de la souffrance d’entendre, du malaise physique, de la sensation enfin, elle aussi pénible ou intolérable. Donc, ne lisez pas cela : cela est vilain et cela est dangereux. Cela ferait douter qu’il y ait dans la musique de la vérité, de la raison et des lois. Car les lois, on l’a dit, sont les rapports entre les choses et, de tous les rapports qui constituent la musique : rapports entre les mots et les notes, rapports de succession ou de combinaison des notes entre elles, je n’en vois pas un ici qui ne soit altéré ou même aboli. Je sais bien que les lois esthétiques souffrent violence. Très différentes des lois physiques, qu’on ne transgresse pas impunément, elles ressemblent aux lois morales, sous lesquelles et même contre lesquelles nous restons libres. En lisant la musique de M. Debussy, j’ai maudit la liberté.

En lisant le dernier recueil de M. Fauré, La bonne chanson (poésie de Verlaine toujours), j’ai douté du progrès. A ses chansons d’autrefois, ou seulement d’hier, j’ai comparé les nouvelles chansons de ce très mélancolique et très raffiné musicien ; et, celles-ci, je n’ai pu les aimer, à peine ai-je pu les comprendre.


J’allais par des chemins perfides,
Douloureusement incertain.


Ainsi commence une de ces mélodies. Hélas ! c’est par de tels chemins qu’elles vont presque toutes. Les rapports dont nous parlions plus haut, et dont la musique est faite, se multiplient, se compliquent de plus en plus, et l’on peut même affirmer que toute l’évolution musicale consiste en cette croissante complexité. La musique est bien le seul art, comme l’observait récemment M. Balfour, où « un niveau constant de sensation esthétique ne peut être maintenu que par une dose toujours accrue d’excitation esthétique[1]. »

  1. Voir The foumlation of belief. (Naturalism and œsthetic.)