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autre pays. On peut ajouter que la longue tension diplomatique qui a précédé l’ouverture des hostilités aurait lieu également dans n’importe quel autre cas : elle est un effet naturel des relations des grandes puissances avec la Turquie. Il est donc probable que celle-ci aura toujours le temps voulu pour mobiliser. Elle a rassemblé 500 000 hommes en 1885, elle en pourrait réunir 700 000 aujourd’hui : c’est quelque chose ; et si les Ecoles militaires sont bien dirigées, la jeune génération retrouvera l’ancien esprit d’offensive, fera les progrès qui restent encore à réaliser. Il y a dans cette armée, a dit son réorganisateur allemand, trop d’insouciance et de passivité, mais encore ces défauts frappans ne sont-ils que superficiels. Qu’une crise éclate, qu’un danger survienne, et l’on voit apparaître les signes les plus éclatans d’une vitalité persistante. Le peuple turc ne fait rien parce qu’il ne désire rien ; son apathie vient de son manque de besoins. Il ne se réveille qu’en cas de difficulté : alors chacun s’accommode de la place dans laquelle le mettent Dieu et le Padischah, on peut tout exiger des troupes et des masses ; c’est une remarque déjà faite qu’il n’y a pas de plèbe dans cette population. Et, en effet, chaque Turc ne peut se considérer que comme un gentilhomme conquérant, qui a le droit de ne rien faire en temps de paix, et le devoir de tout donner en temps de guerre. Cela suffirait-il pour permettre à la Turquie de lutter contre une des grandes puissances ? Je ne le pense point, et il est probable qu’elle n’a ni le désir, ni l’ambition de tenter une si dangereuse entreprise. Mais le problème ne se pose point précisément ainsi. Il s’agit de savoir, — ces puissances étant trop divisées pour intervenir dans les querelles de la péninsule balkanique, — si l’empire des sultans est capable de résister par lui-même à une coalition des nouveaux et très actifs petits États qui l’entourent. Et je crois qu’on peut répondre affirmativement.


PIERRE MILLE.