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mahométisme. Même entre eux ils se déchirent. On en a eu une preuve bien curieuse à Salonique. Deux de Leurs bataillons avaient été successivement embarqués à Karaféria, et devaient fusionner en gare. « Y pensez-vous ? dit fort heureusement quelqu’un qui les connaissait. Ces deux bataillons appartiennent à des villages ennemis, et il y aurait mort d’homme s’ils se rencontraient ! » Le premier convoi ayant exigé un arrêt de sept heures pour visiter Salonique, — et de quelle manière ! — on dut faire attendre sept heures le second convoi à Karaféria pour conserver les distances. Conduits par des chefs héréditaires, la perte d’un de ces chefs sur le champ de bataille les rendait fous de colère. Haines de tribu à tribu, habitude antique des grandes razzias de bœufs et de moutons, fidélité au chef féodal ou élu, — presque tous les cawas des consulats, ces étonnans chiens de garde, sont des Albanais, — tels sont les défauts et les qualités de ce peuple, réserve d’énergie pour l’Europe, mais réserve inexploitée ou mal exploitée. Ils feront d’admirables soldats, mais à la condition qu’ils soient rompus, enrégimentés, assouplis, soumis à une discipline régulière. Ils donneront alors les mêmes exemples d’ordre et de modération dans la victoire, et rendront plus de services, car ils sont individuellement plus intelligens que les musulmans de la Mer-Noire ou d’Anatolie. Pour le moment, ce sont des alliés assez dangereux : divisés en clans, ils ne reconnaissent de loi qu’envers leur clan. Et encore, il ne faut pas que la vendetta s’en mêle. Ils ont d’ailleurs été licenciés le jour même de la signature de l’armistice, et le maréchal Edhem-Pacha, en les désarmant, ce qui les a beaucoup humiliés, leur a adressé un blâme sévère. L’esprit et la conduite du reste de l’armée, c’est-à-dire de la grande majorité, avait été entièrement digne d’éloges.

En somme, la Turquie possède les meilleurs élémens militaires, des hommes prêts à tout, vigoureux, obéissans et sobres, la plupart, — l’armée active ne faisant guère qu’un service de gendarmerie, — étant des réservistes de trente à trente-cinq ans, encadrés dans un nombre d’autant plus grand de vieux soldats que le remplacement est autorisé, même pour ces réservistes. Il s’agit de savoir maintenant comment ces élémens sont conduits.

Les officiers sortent de l’École militaire, ou des rangs. Les écoles sont très bien et très solidement organisées. Dans les unes, on peut opter à la sortie entre le service civil et le service