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qu’il nous offre dans sa tente. Ce brave colonel a une âme d’enfant, noble, naïve et douce. L’incendie du village lui fait venir les larmes aux yeux. « Mais si vous saviez ce que c’est qu’un assaut ! nous dit-il : les défenseurs eux-mêmes commencent la destruction en crénelant les murs, en brûlant certaines maisons pour gêner l’action de l’adversaire. Une fois les Arnautes dans la place, surtout quand ils ont subi des pertes, ils se chargent trop volontiers de ce qui reste à faire. »

Nous déroulons nos couvertures et nous nous endormons. Vers une heure du matin, notre hôte nous réveille : « Une grande nouvelle, nous dit-il, Volo se rend. Le consul de France, M. de Roujoux, et son collègue d’Angleterre se sont rendus en parlementaires officieux au quartier général d’Edhem-Pacha. Cependant on ne change rien aux ordres donnés pour l’attaque du col de Volo. Il pourrait y avoir une surprise, et nous devons nous tenir prêts. »

Sur ce que fut cette entrée à Volo, une bien courte phrase peut résumer nos impressions d’alors : la victoire était décidément trop facile. La ligne de collines qui défendait ce petit port si élégant, si frais, si antiquement grec, franchie sans résistance par des soldats qui rient sur les chemins, le fusil à la bretelle ; cette flotte hellène qu’on avait là sous les yeux, en rade, et qui partit comme elle avait fait partout, sans avoir, je ne dis pas rien accompli, mais rien essayé ; cette ligne de chemin de fer intacte et sur laquelle, trois ou quatre jours après, les vainqueurs faisaient rouler des convois, — assez mal d’ailleurs, avec quelques accidens, à cause de l’insuffisance excusable d’un personnel improvisé, — tout cela luttait contre la pitié, contre la sympathie qu’on aurait voulu éprouver pour le vaincu. La conduite des Turcs à Volo a été franche et digne. La ville s’était rendue sans résistance, sur la promesse qu’elle serait respectée : cette promesse a été entièrement, absolument tenue. Quelques jours après l’occupation, la plupart des magasins, même des magasins de bijouterie, étaient rouverts ; les marchés de viande et de légumes se tenaient dans les rues comme d’habitude. Trois hommes ont assuré la sécurité de Volo : le consul de France, M. de Roujoux, dont la conduite a été au-dessus de tout éloge, et qui a su grouper et enlever ses collègues ; Emver-Bey, le commandant de place ; et le nouveau caïmacan de la ville, Khamil-Bey, dont tout le monde se loue. « Il écoute tout ce qu’on lui dit, réfléchit longuement, et se décide