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à ce phénomène imprévu d’une conquête du « cinquième État » par le christianisme ; et ce serait peut-être le début de cette conversion des masses que Wichern rêvait d’inaugurer en fondant la Mission Intérieure, et qui, jusqu’ici, est demeurée bien fragmentaire et passablement timide. La Mission Intérieure, en général, cherche des maladies, des infortunes, des délaissemens ; et perpétuellement elle explore la société pour y trouver cette clientèle-là, pour l’en tirer et pour la soigner à part ; c’est dans cette besogne qu’elle excelle. Mais entre la Mission Intérieure et l’immense foule insaisissable, qui trouvera la route ? A Hambourg, on a multiplié les institutions philanthropiques ; et cette ville est l’une des plus irréligieuses de l’Allemagne. Sous l’intelligente direction de M. le pasteur Stœcker et de son jeune collègue M. Braun, la Mission Urbaine de Berlin a réparti la grande ville entre une soixantaine de missionnaires qui, chaque vendredi matin, dans une réunion d’études et d’édification, se renseignent entre eux sur les besoins religieux et moraux de leurs quartiers ; elle a expédié, dans les impasses et dans les cours, des troupes de jeunes enfans, pour chanter, sous le ciel et en même temps que le ciel, la gloire du bon Dieu. Mais dans un comité directeur d’une grève, sur mille grévistes qui viennent quérir un secours, trois seulement peuvent dire à quel district religieux ils appartiennent et quelle est la « sœur » de la Mission Intérieure qui en a la charge ; et M. le pasteur Seydel, du clergé paroissial de Berlin, écrivait en 1895 : « Bien que la Mission Intérieure, pendant plusieurs dizaines d’années, ait toujours étendu son activité, le détachement à l’égard de l’Eglise est devenu, non pas moindre, mais toujours plus grand. »

Ce qu’il y a de plus original dans les innovations apostoliques de la Mission Intérieure, c’est la création de « services religieux spéciaux » : ils sont tenus, à certaines heures extraordinaires, pour les cochers de fiacre, les employés de chemins de fer, les portefaix, les garçons d’hôtel, les matelots ; on est descendu vers les bateliers de la Sprée, et sur le pont d’un bateau, devant la foule groupée sur les quais, respectueuse ou gouailleuse, on leur a prêché l’Évangile. Ce labeur n’a pas été sans fruit : près de mille bateliers, deux mille domestiques d’hôtel, se sont prêtés à ces dévotions improvisées. Il semble que, pour avoir vraiment accès auprès des foules, les envoyés de la Mission Intérieure doivent s’adapter aux cadres mêmes de la vie matérielle : ces cadres sont