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Alors ils remercient tous deux la Madone et ils signent ensemble :


Raffaele Tirico et Rocco di Pace.


Le vieillard a mis dans ces quatre-vingt-trois couplets de quatre vers tout son cœur, toutes ses rancunes, toutes ses ignorances. On y découvre des aveux et des reproches que j’aurai bientôt à relever ; mais surtout on se sent transporté dans un monde très ancien, parmi ces prières naïves et farouches, ces descriptions inutiles, ces énumérations homériques, ces hérésies merveilleuses. Il faudrait tout lire dans le dialecte archaïque et sonore, et je détache seulement quelques quatrains, qui en diront plus que je ne saurais dire sur la conscience primitive des paysans pèlerins :


Je t’adore et te prie, sainte Vierge Marie,
Tu as pris le nom de Madone de Pierno.
On vient te visiter de toutes les provinces,
Et chacun prend son « tratturo »…
… Madone de la mi-août, quand il grêle,
Au-dessus de nous étends les deux mains.
Évite-nous les coups et de mourir tués,
D’être faux témoins et mauvais chrétiens…
… Source pleine de grâce pour tout le voisinage,
Toutes par toi sont répandues sur nous :
Tu es dans une église entourée de trois anges,
Saint Guillaume, saint Michel et saint Donato,
Trois saints on dit qu’il est de par le monde,
Et nul ne sait quelle est la vérité :
Le premier est le saint Archange de la Pouille,
Puis Marie de Pierno, enfin la Trinité…


III

L’œuvre de civilisation que le gouvernement italien poursuit dans les provinces méridionales a été commencée, après la conquête du royaume de Naples, par la chasse aux brigands. Elle a pu être développée quand la prise des États pontificaux eut enlevé aux malandrins leur dernier asile. En même temps, Rome devenait la capitale commune de l’Italie du Nord et de l’Italie du Sud. Or, l’unité italienne, solennellement affirmée en 1870, ne pouvait être une réalité qu’au jour où la moitié méridionale de la