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mois d’hiver était une pampa à perte de vue, grouillante de chevaux, de bœufs et de buffles, se trouve réduit à la lande de Manfredonia où paissent des troupeaux clairsemés, et les tratturi gardent seuls le souvenir des migrations séculaires jusqu’au moment où eux aussi disparaîtront sous les blés.

Mais la vie agricole qui, chaque jour, empiète sur la vie pastorale, semble comme celle-ci vouée à l’instabilité et au mouvement sans trêve. Si les migrations des troupeaux diminuent d’importance, celles des paysans se poursuivent comme autrefois. C’est toujours l’échange entre la montagne et la plaine, réglé par les saisons. La différence d’altitude et de température qui existe par exemple entre la côte de Pouille et les hauts villages des Abruzzes est telle que les montagnards peuvent abandonner leurs champs avant d’entreprendre leurs récoltes ou après avoir fini leurs semailles, et s’en aller travailler dans la plaine. La neige, pendant plusieurs mois, couvre les plateaux élevés et comble les vallées : pour ne pas rester inactif et emprisonné dans sa maison, le paysan va se mettre aux gages de propriétaires lointains. Pendant une partie de l’année on peut traverser certains villages des Abruzzes sans y rencontrer un homme. En février, ils travaillent tous dans la campagne romaine ou les terres pontines ; en juillet, ils font la moisson dans les Pouilles. Le long de la route, ils dorment en travers des sentiers ; puis, quand ils sont arrivés, ils se couchent pour la nuit dans le champ même ou tout autour de la ville voisine. Les malins et les soirs d’été, on voit ces montagnards assis par centaines dans les rues de Foggia, et c’est à peine si l’on peut passer au milieu de cette foule silencieuse qui a envahi les trottoirs, le seuil des portes, les tables des cafés. Puis quand la plaine est fauchée et les gerbes pliées, les gens des Abruzzes s’en retournent chez eux en chantant des chansons lugubres ; et ce long voyage, et ce campement aux étoiles, et ce changement de climat et de ciel, recommencent à chaque retour de la même saison.

A côté des laboureurs et des moissonneurs errans, il y a sans doute dans la montagne et dans la plaine bien des paysans qui remuent toujours la même terre, et l’on pourrait croire qu’ils y sont plus fortement attachés. Mais ceux-là mêmes, s’ils n’ont pas à s’exiler pendant des mois entiers, sont obligés d’ordinaire de faire chaque jour un long chemin pour atteindre le sol qu’ils cultivent. En effet, hors de la Campanie et de la terre d’Otrante, on trouve seulement à l’état d’exception une masseria, c’est-à-dire une maison