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tête découverte, entouré de toute sa maison et de toute sa cour, la procession du Très Saint-Sacrement : elle tombe, en quelque sorte, sur tous, et chacun en emporte sa part, comme de la bénédiction du prêtre. L’Empereur marche grave et recueilli, dominé par son devoir ; car, souverain, il a la plus claire conscience et la notion la plus haute de tous ses devoirs d’Etat ; il n’en est pas pour lui de si négligeable qu’il s’en remette à d’autres du soin de le remplir. Esclave de la parole donnée, il n’engage pas légèrement sa parole ; l’Empereur, en François-Joseph, ne manque jamais de prendre conseil du gentilhomme ; dans toute affaire il veut se conduire comme le chef de l’une des plus illustres familles entre tant de familles illustres. Il interroge peu, écoute bien, ne répond point, réfléchit beaucoup, et une fois décidé, maintient. Il hésite avant, pas après : il a l’obstination tranquille des pacifiques.

Comme je demandais si les chrétiens-sociaux ne seraient pas, en cas de crise, appelés au pouvoir. « Oh ! non, fit quelqu’un, l’Empereur n’abandonnera pas si vite son libéralisme : l’acquisition lui en a coûté trop de peine ! » En cette phrase où sans doute voulait s’envelopper une critique, il n’y a, pour des juges désintéressés, qu’un éloge. Le « libéralisme » de François-Joseph a dû, en effet, lui coûter singulièrement ; mais il s’y est contraint, il s’y est fait et façonné, il s’est vaincu lui-même ; et, c’est par où son règne mérite d’être donné en exemple, si la qualité la plus nécessaire aux souverains de ce temps, c’est, pour garder le gouvernement des choses qui peuvent être dirigées et corrigées, de savoir se soumettre aux inévitables. — Le génie est peut-être plus qu’une longue patience, mais une longue patience chez un prince vaut autant et souvent mieux que du génie.

Par toutes les transformations que l’Autriche a subies depuis un demi-siècle, par ces mêmes transformations l’esprit de l’Empereur François-Joseph a dû passer. Il avait été élevé en prince qui, le jour où il arriverait au trône, y devait arriver en maître absolu. Une double révolution en Autriche et en Hongrie, une multiple révolution des multiples nationalités avait, par l’abdication de Ferdinand Ier, son oncle, précipité son avènement. Le nouvel Empereur avait dix-huit ans : ce n’est pas l’âge des solutions moyennes : une réaction impitoyable succéda à la révolution vaincue : l’Autriche fut ramenée de force à l’ancien système. Cette réaction ne dura pas moins de dix années, de 1849 à 1859. Elle ne fut interrompue que par les défaites de la guerre d’Italie :