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LE DÉSASTRE.

«… Nos obligations militaires envers la patrie en danger, — ajoutait le maréchal, restent les mêmes. Continuons donc à la servir avec dévouement et la même énergie, en défendant son territoire contre l’étranger et l’ordre social contre les mauvaises passions. Je suis convaincu que votre moral, ainsi que vous en avez déjà fourni tant de preuves, restera à la hauteur de toutes les circonstances, et que vous ajouterez de nouveaux titres à la reconnaissance et à l’admiration de la France. »

En même temps, le maréchal faisait remettre à deux cavaliers du 7e cuirassiers, les nommés Marc et Henry, une dépêche en clair adressée au ministre de la guerre :

« Il est urgent pour l’armée, y disait-il, de savoir ce qui se passe à Paris et en France. Nous n’avons aucune communication avec l’extérieur, et les bruits les plus étranges sont répandus par les prisonniers que nous a rendus l’ennemi, qui en propage également de nature alarmante. Il est important pour nous de recevoir des instructions et des nouvelles. Nous sommes entourés par des forces considérables que nous avons vainement essayé de percer après deux combats infructueux. »

Le lendemain, Du Breuil allait à Metz.

Il avait, à l’École d’application, cherché des yeux le colonel Poterin, n’avait vu qu’une forme roide, sous un drap rejeté.

— Il est mort cette nuit, dit le jeune Chartrain. — Et après quelques paroles échangées sur cette fin lugubre, timidement, il ajouta :

— Mon commandant, est-il vrai qu’on puisse écrire à ses parens par ballon-dépêche ?

Un petit ballon de papier ou d’étoffe, fabriqué à l’École même, s’envolait chaque jour, chargé de lettres. Du Breuil avait sur lui une bande de papier pelure et se chargea de faire parvenir quelques lignes écrites par Chartrain. Chemin faisant, il rencontra Barrus, très excité :

— Enfin, il est tombé, ce gouvernement du bon plaisir, du gaspillage et du lucre ! La République va nous sauver. Au moins, Jules Favre parle en homme ! — Il tira de sa poche l’Indépendant de la Moselle, rose vif cette fois — et lut avec conviction : « Si c’est un défi, nous l’acceptons, nous ne céderons ni un pouce de notre territoire, ni une pierre de nos forteresses ; une paix honteuse serait une guerre d’extermination à courte échéance ! »