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LE DÉSASTRE.

d’un triste enfant ; il baissa les yeux, pris de pudeur et de honte, humilié par ce ton, cet air de reproche : était-ce sa faute s’il avait été vaincu, fait prisonnier ?

— Alors, demanda d’Avol, vous avez capitulé ? Toute une armée ? Vous vous êtes au moins battus, j’espère ?

Mais Anine s’interposait :

— Demain, plus tard…

De nouveau la bouche de d’Avol se crispait. Du Breuil s’étonna, — un patriotisme si amer, tant d’âpreté, tant d’injustice !…

En rentrant au Ban Saint-Martin, sous la pluie torrentielle, il entendit s’élever une canonnade violente. La nuit allait venir, des éclairs coupaient les détonations. Que signifiait ce vacarme infernal ? Jusqu’à neuf heures, le bombardement retentit, puis s’éteignit, la pluie cessa, un grand vent emportait la fumée. Et ce fut tout. Du Breuil au matin apprenait que nos pertes étaient insignifiantes. On se perdait en conjectures sur cette manifestation bruyante.

Ce jour-là, on commença à distribuer du blé aux chevaux. On ordonna à Coffinières de requérir en ville tout le fourrage existant. Un grondement se fit entendre dans la direction de Verdun, selon les uns, de Toul, d’après les autres. Par un soldat blessé, échappé d’Ars, qui avait vu une affiche apportée de Nancy, on apprenait que Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux et Rochefort avaient proclamé la République. Un des prisonniers de Sarrebrück, échangé, précisait : Le Flô était ministre de la guerre ; l’Empereur subissait à Cassel sa captivité ; le Prince impérial était à Londres, on ne disait rien de l’Impératrice. Jules Favre, ministre des affaires étrangères, avait écrit au roi de Prusse pour lui rappeler sa propre déclaration : « la guerre était dirigée contre l’Empereur, non contre la France, le moment était venu de prouver sa sincérité et de faire la paix. » Mais comment se leurrer d’un pareil espoir ?

Le lendemain, le commandant Samuel, appelé aux avant-postes, lisait dans la Gazette de la Croix confirmation des nouvelles néfastes. Un officier prussien affirmait sur l’honneur à notre parlementaire que le Prince royal devait entrer aujourd’hui même dans Paris ! Le 12, le maréchal convoquait à son quartier général les commandans de corps et les généraux de division : en présence du désastre de Sedan, il fallait renoncer aux grandes luttes, se contenter, pour tenir les troupes en éveil, de petites