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coïncident avec l’enseignement de l’Église ; chacun, vis-à-vis du pasteur, se permet de croire et d’agir comme il le juge bon. »

Les auteurs de la Réforme eurent cette généreuse confiance, que les âmes garderaient en leur for intérieur, par une sorte d’assimilation mystique, la possession de Dieu : par leur venue dans le temple, par leur présence, par leurs élans, elles feraient de ce temple, amas de pierres mortes, la demeure du Très-Haut ; elles y apporteraient le Seigneur, loin de l’y venir chercher ; et sur les lèvres du pasteur elles recueilleraient un écho de ce Dieu intérieur qu’elles amèneraient avec elles. Il semble que Lucas Cranach, le peintre par excellence de la Réforme primitive, ait voulu traduire cette conception dans un superbe tableau de l’église de Wittenberg : assis au pied d’une chaire, un certain nombre de fidèles lèvent leurs regards vers le prédicateur ; la foi les illumine, et l’on sent qu’ils épient, dans les paroles de l’orateur, une répercussion à la voix intime de leur âme. La prédication, ainsi conçue, est une façon de maïeutique mystique, le pasteur un saint entre les saints ; et par-dessus ces nobles têtes de croyans, l’Esprit plane avec amour. — Des cimes où nous élève cette peinture, risquons une chute dans la réalité contemporaine : combien elle sera lourde, et combien décevante ! Jadis tout protestant s’édifiait dans la Bible ; il la lisait dans la traduction de Luther, tombée depuis en quelque discrédit à cause de ses erreurs et de ses contresens ; aujourd’hui la plupart des fidèles, au dire du théologien Paul de Lagarde, n’en connaissent plus que des fragmens gauchement choisis ; les paysans de Thuringe, d’après les observations de M. Gebhardt, sont tout juste assez familiers avec la Bible pour y emprunter la matière de leurs plaisanteries ; et ceux qui désirent s’édifier recourent tout simplement à leur « livre de chant », recueil indiqué par l’autorité ecclésiastique, paraphrase des enseignemens divins ; cette façon de paroissien a pris la place des livres saints. C’en est donc fait de cette chaîne étroite que nouait autrefois, entre la conscience du pasteur et les consciences des fidèles, une commune familiarité avec l’Écriture.

Forcée dès lors de déchoir, la prédication recherche les thèmes de morale. Mais ici d’autres difficultés surgissent. Si l’on en croit l’expérience de M. Gerade, « les leçons morales que jadis un prince acceptait passent maintenant pour importunes ou pour impertinentes aux yeux du simple savetier. » Lors même que le savetier daigne être tolérant et consentir au pasteur un certain