Bersheim les laissait ensemble. D’Avol dit :
— Très occupé, n’est-ce pas ? On ne t’a guère vu. Dans ces momens de crise, on ne peut songer qu’à soi !
Ces mots injustes n’atteignirent pas Du Breuil. Il avait pris la main valide de son ami, la serrait avec attendrissement. Est-ce qu’un homme qui souffre pouvait le blesser ? Il n’avait pas d’orgueil envers ceux qu’il aimait, lui… Son émotion contenue toucha d’Avol ; il eut un froncement de sourcils, comme s’il craignait de s’attendrir :
— Eh bien ! mon pauvre Pierre, nous voilà propres…
— Bah ! — Du Breuil affecta la gaîté, — une armée comme la nôtre se tire de tout !
De nouveau, le regard d’irritation, nuancé cette fois de pitié :
— Ah ! tu as encore des illusions, toi ? Eh bien ! je t’envie !… Après ça, tu es à la source des nouvelles, des décisions ! Tu connais sans doute le secret de ces belles opérations ?
Du Breuil lui jeta un regard affectueux, mais grave ; d’Avol savait bien que son ironie s’adressait mal, mais, tout en se la reprochant, il y prenait plaisir :
— Voyons ! fit-il d’une voix âpre, comment appelles-tu l’homme qui a laissé écraser Canrobert ? L’homme qui a promené ses troupes avant-hier dans la boue ? Explique-moi, si tu peux, ta conférence de Grimont ! Qu’est-ce qu’ils ont dit, ces grands chefs, ces foudres de guerre, pour rester collés à Metz ?
Du Breuil, de nouveau, contint du regard l’exaltation de d’Avol, qui gouailla :
— Aie pitié d’un pauvre diable qui ne sait rien, et qui ne comprend rien à rien !
Sa main, sèche et brûlante, serra pour la première fois, chaudement, presque convulsivement, la main amie :
— Mon pauvre Pierre, tu me trouves changé ? Je ne me reconnais pas moi-même. Ces revers coup sur coup me tournent la tête ; nous reculons, nous canons, les Prussiens doivent se ficher de nous !…
L’orgueil, toujours l’orgueil, mais combien noble cette fois ! Leurs mains s’étaient fondues, épousées, comme si le même sang, la même douleur passaient au travers.
— Ah ! soupira Du Breuil, qui donc y comprend quelque chose ?
Une lassitude immense l’envahit : tant de nuits blanches,