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Trois d’entre eux causaient.

— Ça va chauffer ! disait l’un. — Pas trop tôt ! murmurait l’autre. Et le troisième, Saint-Paul, le vieux maréchal des logis de Saint-Cloud témoin de la mort de Lacoste, aiguisait son sabre avec un mutisme farouche, un étrange sourire sous ses énormes moustaches. Il leva les yeux vers Du Breuil. Un lien de silence s’était noué entre eux, avec une sympathie chez Du Breuil, un embarras chez tous deux. Se rappelant la légère humiliation qu’il lui avait infligée à Saint-Cloud : — « Allons, maréchal des logis, réveillez-vous ! donc ! » Du Breuil croyait toujours lire un reproche dans l’immuable respect du vétéran. Cependant l’intérêt qu’ils portaient à la bonne bête de Lacoste, Musette, les rapprochait. Le vieux Saint-Paul la surveillait avec des yeux jaloux, depuis qu’elle était rentrée dans le rang. Cette fois encore, Du Breuil s’arrêta, prit des nouvelles de la jument. Il ajouta :

— Elle va bientôt marcher.

Le vétéran, appuyé sur son sabre, dit avec un regard lointain, une voix goguenarde :

— La fatigue est bonne, c’est le repos qui ne vaut rien !

On s’entretenait dans les bureaux de la visite rendue en ce moment au maréchal par les généraux Soleille et Coffinières. Ils empruntaient aux événemens, — l’un commandant l’artillerie de l’armée, l’autre commandant le génie et gouverneur de Metz, — une importance considérable. Il ne perça rien de leur entretien. Dans la soirée, Décherac racontait à Du Breuil : — La mésintelligence gagne maintenant Charlys et Jarras ! Je venais de monter des pièces dans la chambre du général quand Charlys est entré : — « Mon général, voici les ordres de mouvement que m’a prescrits hier le maréchal. Veuillez en prendre connaissance. » Le général a répondu : « Allez les faire signer au maréchal. » Et comme Charlys insistait : — « Vous les avez faits. Allez les faire signer ! »

Les troupes devaient, le lendemain 26, lever le camp à la pointe du jour. Les 2e, 4e, 6e corps et la Garde, qui depuis le 19 étaient massés sur la rive gauche, franchiraient la Moselle par la ville et les deux ponts de Chambière. Le 3e corps, qui, depuis le 22, était passé sur la rive droite, s’établirait en arrière de Noisseville. Le maréchal se réservait de donner ses instructions sur le terrain. Il avait plu toute la journée ; la nuit fut longue pour Du Breuil, dans cette petite maison du Ban Saint-Martin, où il vivait