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unique ». Il a cette formule : « Pour Pauline, le sentiment du devoir est une passion » ; « et celle-ci : « Corneille émeut par des vertus plus puissamment que d’autres par des passions » ; et celle-ci encore : « On parle d’amour chez Corneille, l’amour agit chez Racine. » — Non seulement il admire le dénouement de Rodogune, mais il défend la pièce tout entière, « une des plus fortes conceptions dont notre théâtre puisse se glorifier. » Il voit dans Cléopâtre « le sublime de la scélératesse ». — Il signale, seul entre ses contemporains, ce que le théâtre de Corneille a gagné à la Révolution. Il dit de Cinna : « La Révolution nous a expliqué cette pièce ; elle en a fait un commentaire un peu plus instructif que celui de Voltaire. » Il a cette vue de critique historien : « L’étonnante et merveilleuse tragédie qui se joue depuis seize ans sur le grand théâtre de l’Europe, cette époque extraordinaire qui renouvelle la face du monde, cette succession de prodiges donnent aux esprits une direction qui les éloigne des vieux hochets en possession de les amuser. Corneille, très dédaigné sous le règne du philosophe, est aujourd’hui le plus fêté, parce qu’il est le plus fort de choses. »

Quelle est aujourd’hui, sur le théâtre de Racine, l’opinion la plus distinguée et, si je puis dire, le jugement à la dernière mode ? C’est de s’extasier sur la vérité de ses tragédies, sur son audace, sur sa violence secrète, et sur sa couleur. — Or cela est déjà dans Geoffroy. Il écrit comme nous pourrions faire : « Racine n’était point un poète galant ; il excellait à peindre le véritable amour, qui presque toujours exclut la galanterie. » Il fait cette réflexion : « C’est à des femmes que Racine a donné ces passions violentes qui troublent la raison ; en cela il s’est rapproché de la vérité et des convenances » ; et cette autre, qui fut neuve en son temps et qui allait contre l’opinion commune : « Chez Racine, l’action marche toujours : dans les tragédies de Voltaire, l’intrigue languit ; les tirades seules sont animées. » Il admire Bajazet sans restriction et relève cette sottise de La Harpe, que « Bajazet est une tragédie du second ordre qui n’a pu être écrite que par un auteur du premier. » Il dit que le dénouement de cette tragédie laisse au cœur « une tristesse profonde et délicieuse. » Il s’est aperçu avant nous des audaces et des violences de Racine, — et même de sa « couleur locale ». — « Tous les héros de Corneille sont des Français sous le rapport de la galanterie… Quant à ses héroïnes, il serait difficile de décider quel est leur pays : la plupart ne sont pas même des femmes… On remarque dans Racine un plus grand nombre de ces caractères francs, conformes à toutes les notions historiques : Néron est frappant de ressemblance ; Acomat est un vrai Turc… Nous voyons dans Monime une véritable Grecque, dans Roxane une femme du sérail… Dans ces rôles admirables