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Benoits et de tous les Durantins qui sont dans la salle. Rodolphe est bien le personnage « sympathique » qu’il leur faut. Il a des sentimens ignobles et des gestes avantageux. Il fait des vers de commis de magasin. Il lâche Mimi et la Bohême parce qu’il a peur de la pauvreté, ce qui est bien naturel ; et il consent à épouser, pour être riche, une femme qu’il n’aime pas, et une veuve, ce qui est d’un jeune homme bien sensé. A un moment, il montre à cette dame elle-même le fond de son cœur, et dans un style que je ne saurais retrouver. « La mansarde, oui, c’est gentil, quand il y a un rayon de soleil et quand on a de quoi manger. Mais la soie, le velours, les tapis, une bonne table et un bon hôtel, ça vaut tout de même mieux. » Le malheureux développe ces vérités en un de ces couplets qui font dire aux Benoits et aux Durantins que c’est rudement « bien écrit ». Il est vrai que, lorsque Mimi s’enfuit pour se jeter à l’eau, il rompt avec Mme de Rouvre : de quoi M. Benoit lui-même l’approuverait, car, n’est-ce pas ? le sentiment a ses droits. Heureusement, l’attendrissante mort de Mimi vient déblayer la situation ; et Mme de Rouvre ayant eu, elle aussi, un bon mouvement, on ne voit plus ce qui empêcherait Rodolphe d’épouser cette confortable dame. Ainsi cette aventure donne satisfaction tour à tour au cœur et à la raison.

La Vie de Bohême est le triomphe du « bon sens » et l’apothéose de l’argent. La forme, dans les passages « soignés », est justement celle qui peut le mieux donner aux illettrés l’illusion de la « littérature » ; et les images de vie joyeuse et d’amour libre, conventionnelles et fausses comme des vignettes de romance, y correspondent exactement à ce que la majorité du public entend par « poésie ». Cette pièce est aussi bourgeoise, au fond, que le Chemineau ; mais, en outre, elle est plate. Elle est plus bourgeoise à elle seule que tout le répertoire de Scribe. Et c’est pourquoi elle est immortelle.

Mlle Marie Leconte est parvenue à jouer avec une sorte de vérité et une grâce pas trop banale le rôle bêlant de Mimi. Les autres sont bons et, quelquefois, ils ont l’air de s’amuser.

M. Charles-Marc Des Granges vient de donner sur Geoffroy, le fondateur du feuilleton et presque de la critique dramatique, un livre extrêmement consciencieux, pénétrant, plein d’idées, tout à fait intelligent, mais si minutieux, si inexorablement complet et, comme la plupart des thèses de doctorat, d’une étendue si disproportionnée avec son objet, que, l’ayant lu, et avec le plus vif plaisir, j’ai finalement quelque peine à y bien saisir Geoffroy lui-même, à cause de la quantité des angles sous lesquels on me l’a montré, et que je ne sais plus