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le temps était magnifique, sans un souffle de vent, sans un flocon de neige ; aussi souffrions-nous beaucoup moins que nous ne l’avions fait par une température de 20° au-dessous de zéro avec du vent. Les deux semaines de notre résidence au fort Yukon nous mirent à même d’apprécier combien est rude la vie que mènent ici, pendant des années, les chasseurs de fourrures et les chefs de comptoirs européens. De l’élan bouilli à déjeuner, de l’élan bouilli à dîner et encore à souper, voilà le fond du régime alimentaire ; le poste est tellement inaccessible que l’on y apporte fort peu de provisions. Toutes les denrées du dehors doivent, avant d’arriver ici, passer par chacun des postes qui se succèdent entre l’Amérique Russe et la factorerie d’York dans la baie d’Hudson. Elles sont transportées d’un fort à l’autre par des employés de la Compagnie ; ceux du Yukon vont chercher leurs approvisionnemens à la maison Lapierre, petit établissement situé non loin des sources de la Porcupine, à une distance d’environ 200 lieues. Il faut vingt jours pour remonter la rivière et six pour la descendre. On ne trouve plus ensuite de poste jusqu’au fort Simpson, distant de 500 lieues du Fort Yukon. »

Ce que l’Amazone est à l’Amérique du Sud, le Mississipi aux Etats-Unis, le Yukon l’est à l’Alaska ; la grande artère intérieure qui donne accès dans cette région et qui, descendant des Montagnes Rocheuses de la Colombie Britannique, ne prend son nom de Yukon qu’au fort Selkirk où sa branche maîtresse rejoint son affluent, le Perry. Il draine un territoire de 600 000 milles carrés. A son embouchure, il atteint soixante milles de largeur, à 500 milles au-dessus il en mesure de un à dix. Des milliers d’îles surgissent de ses eaux basses, et les Indiens seuls savent s’orienter dans le labyrinthe de ses bras multiples et y piloter les chalands, car ce n’est que pendant la brève période des hautes eaux que le Yukon est accessible aux navires à fond plat, d’un tonnage de 400 à 500 tonnes.

L’hiver, le Yukon est absolument fermé à la navigation ; et l’été, dans la partie méridionale de son cours, ne dure guère plus de dix à douze semaines, du milieu de juin au commencement de septembre. Mais, alors, un incomparable panorama se déroule devant les yeux. Les rives sont chargées de fleurs ; la plaine, tapissée de mousse, en est couverte. Des oiseaux innombrables et d’une infinie variété de plumage peuplent les arbres et les arbustes. On campe dans des champs d’églantiers, de pavots, de