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rênes à l’Eglise, il advint que le pouvoir de l’Etat, en Allemagne comme partout, se morcela. Le souverain moderne ne gouverne plus sans partage, son Parlement le surveille, le précède, le guide : ce Parlement n’aura-t-il pas son mot à dire dans les affaires de l’Eglise évangélique ? Si la vieille suzeraineté du prince sur l’Eglise n’était qu’un corollaire de son pouvoir politique, il convenait qu’il partageât avec son Parlement cette suzeraineté dérivée, comme ce pouvoir politique lui-même, et il convenait aussi que le ministère, dûment responsable devant les représentans des sujets, fût officiellement associé à la gérance des affaires spirituelles. Lentement, à travers les esprits, cette logique se fraya sa route ; et c’est en vain que la constitution allemande de 1818 attribuait aux différentes Eglises une parfaite autonomie pour le règlement de leur vie ; cette autonomie servit à l’Eglise catholique, non aux Eglises évangéliques ; et les crises politiques qu’a dénouées l’avènement de la démocratie, bien loin de rendre au protestantisme la maîtrise de ses propres intérêts et de son propre avenir, firent surgir un nouveau souverain qui revendiquait sa part dans le gouvernement des Eglises : à côté du chef d’Etat traditionnel (Landesherr), le Parlement dressa ses multiples têtes. Lorsque M. le professeur Virchow, adversaire acharné de l’idée religieuse, réclame pour les représentans du peuple prussien le droit de ratifier ou de rectifier les décisions de l’Eglise évangélique prussienne, il pari de cette idée que l’Etat a désormais un certain nombre de titulaires, et que tous ces titulaires doivent en quelque mesure être associés à la régence de l’établissement religieux. On objecte que c’est parce que le chef d’Etat est le premier dans l’Eglise (primus in Ecclesia) qu’il est en même temps l’évêque souverain (summus episcopus) et que son rôle de pouvoir spirituel est dévolu plutôt à sa personne qu’à l’Etat ; cette théorie, si elle obtenait gain de cause, exclurait le Parlement de toute ingérence dans l’Eglise ; mais elle fait l’effet d’une subtilité de circonstance plutôt que d’une déduction rationnelle.

Ainsi succombe la conception, relativement simple, d’une monarchie laïque préposée à l’Eglise évangélique[1], et sur les

  1. Nous renvoyons le lecteur désireux d’approfondir ces questions au livre tout récent de M. Georges Pariset : l’État et les Eglises en Prusse sous Frédéric-Guillaume Ier (Paris, Armand Colin), travail de premier ordre, où l’érudition précise du détail ne porte préjudice ni à la clarté des grandes lignes ni à l’ampleur originale des vues d’ensemble. Le règne de Frédéric-Guillaume Ier y apparaît comme une époque de transition, d’où l’auteur plane avec aisance sur les diverses phase qu’ont traversées, en Prusse, les rapports entre l’Église et l’État. A beaucoup d’égards, l’étude de M. Pariset sur le protestantisme, observé au XVIIIe siècle, l’a conduit à des conclusions assez rapprochées des nôtres.