des volontés absorbantes des princes ? Ils furent d’autant plus sûrement les maîtres, dans les Eglises fraîchement réformées, qu’on recourait à leur glaive pour défendre ou pour imposer la Réforme elle-même.
Dans les écrits des premiers réformateurs, les appels au bras séculier sont constans. « La liberté de croire, le droit individuel de se faire à soi-même un symbole », n’étaient en aucune façon, — c’est Renan qui en a fait la remarque, — « l’essence du protestantisme naissant ». « Il faut faire violence à ceux qui ont le cœur dur, écrivait Capiton au comte palatin ; ainsi, terrorisés par l’épouvante, ils recevront plus facilement la doctrine. » Cette contrainte religieuse était d’autant plus haïssable que parfois elle ne s’avouait point elle-même et qu’elle usait d’artifices de langage pour se targuer d’être compatible avec la liberté intérieure du chrétien. « On ne peut contraindre (zwingen) personne à la foi, déclare, au huitième dialogue de Martin Bucer, un interlocuteur encore naïf. — Qu’est-ce que contraindre (zwingen) ? interrompt un second, qui exprime la pensée de l’auteur. — Contraindre (zwingen), réplique le premier, c’est obliger (nöthigen) quelqu’un contre sa volonté. » Et Bucer de reprendre triomphalement, avec la subtilité d’un bon apôtre : « Nous y voilà ! contre sa volonté. Mais l’homme peut-il faire quelque chose qu’il ne veuille pas ? Cela n’est pas possible ; car ce que l’homme dit ou fait, il doit auparavant vouloir le dire ou vouloir le faire. » Avec une pareille élégance de casuiste, Capiton démontrait que les mesures par lesquelles on obtenait des conversions forcées au protestantisme ne constituaient nullement une contrainte de foi (Glaubenszwang) puisque la foi (Glauben) est intérieure. Bucer alléguait aux souverains de son époque l’exemple des princes de l’antiquité, dont le sceptre, à l’intérieur de la cité, régissait souverainement toutes choses, humaines et divines ; et c’est ainsi qu’à la théorie catholique des droits absolus de la vérité, antérieurs et supérieurs à la volonté du monarque, se substituaient, pour légitimer l’emploi du glaive, des réminiscences païennes, au nom desquelles l’État prétendait être l’arbitre de la vérité, en même temps qu’il en serait le défenseur.
Durant deux siècles d’ancien régime, où l’Église catholique elle-même, encore qu’elle en pût appeler des caprices du pouvoir civil à la suprématie exotique du Saint-Siège, luttait assez péniblement contre les tentatives d’omnipotence religieuse des