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Ainsi, pour arriver à Elassona, les Grecs devaient prendre ou tourner le Menek-Tépé. Pour arriver à Tyrnavos, les Turcs devaient prendre ou tourner les positions des Grecs sur le Kritiri, et aussi la multitude des petites barricades en forme de croissans mis bout à bout qui barraient la plaine.

Rien n’est confus comme cette guerre de montagne. Ce n’étaient même point des combats de bataillon ou de compagnie à compagnie : caché derrière un rocher, chaque homme avait son ennemi abrité derrière un autre rocher, et n’avançait, si je puis dire, que par une série de parallèles individuelles. Les Grecs, à cette époque, n’étaient pas démoralisés ; ils savaient qu’un petit succès, même de nulle importance au point de vue stratégique, pouvait soulever leurs compatriotes de Macédoine ; ils se battirent avec un acharnement auquel il faut rendre justice. Le 20 avril, la brigade Mastrapa reprit même un instant Gritzovali, position turque située en face du Kritiri. Un officier supérieur turc, Hafiz-Pacha, tomba raide mort à la tête de ses troupes. Cette multitude de petits engage mens aurait pu tourner à l’avantage de l’armée hellène s’il y avait eu plus d’entente entre ses diverses parties, mais cette entente a paru manquer, de la façon la plus déplorable, depuis le commencement jusqu’à la fin de la campagne. Quoi qu’il en soit, les opérations traînaient. Trois fois, les correspondans des journaux anglais télégraphièrent la prise de Tyrnavos, et trois fois cette nouvelle fut démentie. A Constantinople on trouvait le temps long, on s’inquiétait presque ; le service sanitaire reçut des lettres accusant beaucoup plus de blessés qu’il ne s’en trouvait en réalité, et mon excellent ami Hayreddin-Bey poussa un soupir de soulagement en constatant que les craintes du gouvernement central n’étaient pas fondées. C’est à ce moment qu’on songea peut-être à remplacer Edhem-Pacha par le vieux héros de Plevna. On aurait eu tort. Jamais les Turcs ne montrèrent plus d’élan que pendant cette première semaine ; ils emportèrent même, m’a-t-on dit, plusieurs postes à la baïonnette ; isolés dans les petites gorges de cette région montagneuse, beaucoup n’eurent rien à manger pendant plus de trente heures. Il semble qu’Edhem-Pacha ait eu la conviction qu’avec la supériorité numérique de ses troupes, bien que cette supériorité numérique comptât beaucoup moins en pays de montagne qu’en plaine, il arriverait fatalement à l’emporter, et que son seul objet devait être alors d’économiser des vies humaines. Il a donc