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adroitement, et nous nous tirons d’affaire. Le colonel n’a pas l’air de s’étonner et sourit bonnement à son inférieur. Il y a des pays plus civilisés où il ne serait pas bon à un subordonné de montrer plus de science que son chef. J’ajoute en transcrivant ces notes que j’ai retrouvé cet adjudant, un tout jeune homme, capitaine à la fin de la campagne, à Volo. Cette omnipotence du gouvernement central qui distribue les grades comme il l’entend, sans condition d’âge ni de stage, a les inconvéniens du favoritisme, mais présente aussi un bon côté.

Enfin, après soixante-dix kilomètres à cheval, dans un rude pays, nous arrivons à Elassona, assez moulu. La ville est pleine de troupes, et on nous recueille, par charité, à l’hôpital. Quelques blessés grecs y sont couchés fraternellement à côté des turcs ; deux cents lits sont encore vides, des voitures de place de Salonique, réquisitionnées, opéreront le transport sur cette ville, qui contient en ce moment huit cents blessés. Malheureusement, on n’a pas organisé le service du transport de ceux-ci sur le champ de bataille. Un malheureux que je trouve agonisant sous une tente de l’ambulance a été ramassé cinq jours après avoir été frappé. Il y a là un manque de prévoyance que je dois noter, et qui émeut douloureusement. La plupart des hommes atteints, il faut le dire, le sont assez peu dangereusement, à la figure ou aux mains : tiraillant en montagne, derrière des épaulemens, ils ont été frappés aux seuls endroits laissés à découvert.

2 mai. — Elassona est une petite ville triste, sale et fiévreuse, allongée au bord d’un lit de cailloux sans eau que les Grecs, avec une emphase méridionale, ont baptisé la rivière Elassonatique ; et au sud, à quelques kilomètres plus loin, commencent les premiers escarpemens du col de Melouna. C’est là que passe la frontière gréco-turque, mais il faut bien remarquer que la frontière géographique — et stratégique — est en arrière, au col de Portaës, où de hautes crêtes qu’on voit se détacher de l’Olympe séparent les affluens de la Vistritsa macédonienne des affluens du Salamvria thessalien. Une victoire des Grecs au col de Melouna n’aurait donc pas donné de grands résultats, puisque les Turcs n’avaient qu’à reculer de quelques kilomètres pour retrouver leur véritable ligne de défense, en avant d’une vallée fertile. Sur les lieux, l’imprudence commise par le gouvernement et surtout par