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n’est pas tout à fait simple ; du calme, de l’attente dans la conversation, mais tout cela un peu compliqué. Il se fait, il me semble, naturel plus qu’il ne l’est réellement. » Dans une autre du 27 octobre, je trouve ces lignes : « Je cause quelquefois avec l’illustre auteur d’Atala. Il a beaucoup moins d’idées romanesques qu’on ne le suppose et je suis frappé de la justesse pratique et de la clarté de ses idées. Il s’écoute volontiers parler. Il détourne les yeux pour n’être pas distrait, se recueille, parle bas, avec ordre et avec enchaînement. Par suite, il ne faut pas l’interrompre, vu qu’il ramène toujours à la question et que, dérouté, il plante tout là. C’est le genre d’un homme qui a plus de méditation que d’improvisation. Aussi m’avait-il paru, en lisant ses ouvrages, que son enthousiasme était souvent factice. Mais c’est, sans contredit, un homme d’un génie absolument supérieur. »

Cette disposition d’esprit devait avoir son contre-coup sur l’accueil que ferait à Chateaubriand la société étrangère présente au Congrès. Il y avait toujours en lui, malgré tout, une grande séparation entre les idées du jeune isolé de Combourg, du voyageur sur les rives du Jourdain ou dans les forêts vierges de l’Amérique, et celles de ce monde brillant et cosmopolite dont il devait rechercher les suffrages, mais qui lui inspirait un certain dédain qu’il ne cherchait pas à dissimuler. Le grand écrivain s’était imposé à l’attention de l’Europe ; il s’agissait de faire accepter l’homme d’Etat, et naturellement il sentait et trouvait autour de lui la route barrée par toutes les ambitions classées et enrubannées pour leurs services officiels. M. de Metternich, comprenant toute l’influence que Chateaubriand pouvait exercer au Congrès, ne manqua pas, dès le début, de chercher à le discréditer. « Il arrivait, disait-on, la poche pleine de constitutions ; c’était la lumière de l’Europe ; il venait montrer ce que c’était qu’un homme. » Le comte Pozzo, avec lequel il fut assez étroitement lié dans la suite, disait que « c’était une fusée à la Congrève jetée au milieu du Congrès. » On riait beaucoup de l’accueil de la reine de Sardaigne, qui, ne trouvant rien d’autre à lui dire, avait demandé, quand il lui fut présenté, s’il n’était pas le parent de « M. de Chateaubriand qui faisait des brochures. » Tous ces propos blessaient vivement Chateaubriand et le disposaient assez mal pour M. de Metternich, qu’il considérait comme leur inspirateur et auquel il se borna à aller remettre sa carte à son arrivée, sans demander à le voir, politesse qui lui fut rendue dans la même forme.

M. de Metternich profita, d’ailleurs, de cet isolement relatif