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préalable, le ministre anglais serait retourné à Londres, M. de Montmorency à Paris, et le reste du Congrès se serait transporté à Vérone pour paraître s’occuper des affaires d’Italie, en réalité pour faire connaître aux souverains de ce pays les résolutions qui auraient déjà été concertées à Vienne. Deux incidens imprévus, la fin tragique de lord Castlereagh et un subit accès d’indignation de l’empereur Alexandre contre l’ambassadeur d’Angleterre à Constantinople, déjouèrent ce plan du chancelier autrichien.

Lord Castlereagh s’étant suicidé dans un accès de folie, le roi d’Angleterre dut lui choisir un successeur au Congrès. Le duc de Wellington, qui fut désigné par George IV pour se rendre à Vienne à sa place, ne le remplaçait point pour M. de Metternich. Le duc, bien que remarquable par la droiture de son sens politique, ne possédait pas comme homme d’affaires l’éminente supériorité qu’il avait comme homme de guerre. « C’est dommage, disait le comte Capo d’Istria, que le duc de Wellington croie de sa dignité de venir s’amoindrir autour d’une table de conférences. Franchement, est-ce bien sa place ? » D’ailleurs, son patriotisme !, tout aussi vif que celui de lord Castlereagh, n’envisageait cependant pas les questions politiques exactement au même point de vue que ce dernier. Le duc de Wellington n’était pas pénétré, à l’égard de la France qu’il avait vaincue et dont il avait rétabli l’ancien gouvernement, de ces craintes, de ces haines diplomatiques que l’habitude des luttes journalières nourrissait dans l’esprit de lord Castlereagh et du prince de Metternich et que nous avons retrouvées de nos jours chez le prince de Bismarck. Il n’avait ni leurs défiances, ni leur talent d’intrigues, et tout en s’opposant énergiquement au principe d’une intervention française, comme ambassadeur d’Angleterre, comme chef d’aristocratie, il souhaitait vivement la destruction du pouvoir usurpé par les révolutionnaires espagnols, qu’en Espagne même, il avait appris de bonne heure à connaître et à détester.

En attendant l’arrivée du duc de Wellington, le ministre d’Angleterre régulièrement accrédité à Vienne, M. Gordon, tenait contre nous le langage le plus hostile[1] : « Aucune intervention armée, disait-il, n’est praticable envers l’Espagne, et elle le serait, qu’il faudrait la confiera n’importe qui, pourvu que ce ne fût pas à des Français. En agir autrement, serait rendre à la France un

  1. Journal de M. de Bois-le-Comte.