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haine que la nation portait au favori vaincu. Les Espagnols avaient salué son court avènement au trône comme la plus heureuse délivrance d’un despotisme méprisé et abhorré. Comme sa captivité au château de Valençay n’avait pas permis de le juger à sa valeur véritable, il avait retrouvé en 1814 une faveur nationale qui s’augmentait de l’impatience d’une longue anarchie, de la captivité que l’empereur Napoléon lui avait fait subir, et de la satisfaction de l’orgueil espagnol, qui saluait en Ferdinand VII le souverain que le pays s’était donné librement et la preuve vivante de son courage, de sa supériorité sur l’étranger. Il fut alors réellement le maître et se hâta, comme on le sait, de ressaisir le pouvoir absolu, en rejetant bien loin la constitution que lui avaient imposée les Cortès.

Au lieu de s’appuyer sur la nation et d’aller loyalement à elle, comme elle était venue à lui, il avait cru qu’en Espagne tout réussissait avec de l’intrigue et des coups de main. Il ne s’agissait que de bien prendre son temps, de garder un secret inviolable, d’avoir autour de soi des hommes sûrs dont l’obscurité répondrait de la fidélité ; en un mot, le pouvoir, pour déjouer les conspirations, devait se faire lui-même conspirateur. Mais les circonstances étaient totalement changées. Le pays qui avait péniblement supporté pendant six ans l’arbitraire malhabile, les réactions cruelles, et le désordre funeste de l’administration, avait laissé faire la révolution du 8 mars 1820. Le roi n’avait pour partisans qu’une portion du clergé, la majorité d’un bas peuple inerte et un parti assez considérable dans les provinces du nord de l’Espagne ; mais ces adhérens étaient sans énergie, sans discipline, sans aucune des conditions qui font réussir les soulèvemens. Le reste de la nation, la presque totalité de l’armée, une partie de la grandesse, tout en n’adoptant pas les opinions révolutionnaires de la majorité des Cortès, préféraient encore cette situation, toute précaire qu’elle était, à l’odieux arbitraire du roi absolu. Ces dispositions étaient partagées par le ministère, dont Martinez de la Rosa, Moscoso et Garely étaient les principaux membres. Ces hommes d’Etat, qui joignaient au caractère le plus honorable une entente plus grande des besoins de l’époque que les autres ministres qui les avaient précédés aux affaires, unissaient à un ardent désir de conserver les institutions constitutionnelles, auxquelles ils devaient leur notoriété politique, un attachement très sincère pour le roi et la légitimité. Cette