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lui-même trois pièces de 12 contre quelques bataillons prussiens, qui garnissaient les hauteurs, du côté d’Ars. Cet étrange spectacle surprit jusqu’à Francastel. Laune n’y put tenir. Indiquant au maréchal, tourné vers le sud, la direction du nord-ouest, il lui fit remarquer l’intensité du feu. De la fumée s’élevait au-dessus des bois, vers Amanvillers et Saint-Privat. Il était facile de comprendre que l’effort de l’ennemi se portait sur notre droite, pour nous rejeter dans la vallée, et, coupant la route de Briey, nous enlever notre dernier débouché. Mais le maréchal se contentait de dire : — Ils ont de bonnes positions : qu’ils les défendent ! — Sur l’air étonné de Laune, il ajouta : — Je vais du reste envoyer deux batteries de la réserve au débouché de la route de Briey, pour le garder, s’il y a lieu.

Des aides de camp, à sa recherche, soudain, parurent. Ils poussaient leurs chevaux de l’éperon jusqu’auprès du gros homme, qui les regardait venir, indifférent, remettaient leurs dépêches, saluaient, repartaient. Les cinq officiers piétinaient, stupides, s’évertuant à comprendre la pensée de leur chef. Qu’est-ce qu’ils faisaient là ? Parfois le bruit de la canonnade s’éteignait presque complètement. Ils prêtaient l’oreille, anxieux, scrutaient l’horizon. Le maréchal cependant concentrait son attention sur les petites diversions essayées par l’ennemi en avant d’Ars. Mais il n’y avait aucun danger de ce côté. Les canons de la place et du fort eussent suffi à arrêter toute tentative sérieuse. « Toujours sa crainte d’être coupé de Metz, songeait Du Breuil. Dire que le temps passe, et que nous sommes à muser là, et que le destin de l’armée, celui de la France peut-être, se jouent en ce moment ! »

La haute stature du colonel Charlys, tout à coup se dressa près d’eux. Il venait de terminer sa reconnaissance d’une ligne de positions en arrière. Il en rendit compte au maréchal. Du Breuil se souvint alors des dernières paroles de Floppe… Il n’y attacha pas d’importance. Est-ce que le maréchal laisserait ainsi massacrer des milliers d’hommes, s’il songeait encore à se replier ?… Mais un de leurs camarades du grand Quartier général arrivait. Envoyé au général Frossard, il avait poussé spontanément jusqu’au 3e corps, en rapportait des nouvelles. Le maréchal Lebœuf venait de résister à une attaque très vive et demandait du renfort. — Justement, ajouta-t-il, j’ai rencontré au col de Lessy les voltigeurs de la Garde, avec le général Boisjol, qui ne demande qu’à marcher. — On n’entendait plus le canon. De la fumée