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REVUE DES DEUX MONDES.

— Au revoir, cher.

La porte refermée :

— Je suis heureuse de le connaître, dit Mme de Guïonic.

Du Breuil lui avait souvent parlé de Jacques, comme de son meilleur ami. La toile s’était levée, montrant une salle du palais. Alphonse implorait le pardon d’Elvire et, dans un duo pathétique, l’obtenait. Changement de scène. De jeunes bouquetières accouraient en dansant sur la place du Marché. M. Le Prêcheur se réveilla pour chercher sa lorgnette. Mais des soldats emmenaient de force la Muette. Masaniello soulevait le peuple : — « Marchons ! Aux armes ! Des flambeaux ! » Sur le tumulte des dernières mesures, Marie Sass, enfin, parut.

À sa vue, dans toute la salle courut un frémissement, les cris et les bravos se fondirent en une seule acclamation.

Elle portait une tunique blanche, un péplum semé d’abeilles d’or. Elle s’avançait avec sa grande allure dramatique, tenant à la main le drapeau tricolore. Elle attaqua les premières notes : Allons, enfans de la patrie… au milieu d’un émoi indescriptible.

La duchesse de Mouchy se levait. Une partie des spectateurs l’imita. Une voix impérieuse, celle d’Émile de Girardin, cria : — Tout le monde debout ! — La salle entière se dressa. Chacun se sentait une âme nouvelle, collective, immense. Quelque chose de fort et d’âpre, soudain, passa comme un souffle à la racine des cheveux, prit aux moelles. L’orchestre, à pleins cuivres, accompagnait l’hymne glorieux. Marie Sass lança la première strophe d’une voix vibrante, qui évoquait l’éclat des sabres et le sang rouge. Furieux, les applaudissemens éclatèrent. Elle reprenait plus haut, plus fort ; et le chant s’élargissait, remplissait l’immense vaisseau. Il se propageait au delà des murs, semblait se répandre sur Paris soulevé et le pays en armes. Avec des rumeurs de tocsin, le roulement des canons grondait à travers les paroles ardentes. La patrie en danger se leva dans les cœurs. Le chant national, si longtemps proscrit, apparaissait plus beau, brûlant d’une vie neuve et d’une flamme éternelle.

Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n’y seront plus !…

L’émotion fut à son comble. On haletait d’enthousiasme. Hommes et femmes étaient saisis de vertige. Les uns riaient d’un air crispé, mordaient leur moustache, d’autres hurlaient comme