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tableau vivant, pour tout ce qui est frivole et vain, pour tout ce qui encadre, qui entoure et qui étouffe la pièce. Il contribue ainsi pour sa forte part à faire du drame romantique un genre intermédiaire entre le mélodrame et l’opéra. Il s’en faut donc que la Préface soit un de ces livres essentiels qui dominent la littérature de toute une époque. Œuvre de circonstance, fabriquée pour les besoins immédiats de la polémique, elle a emprunté aux passions du moment son intérêt d’actualité. Elle a pu, dans la mêlée, et soutenue par l’esprit de parti, faire illusion. Aujourd’hui les prestiges ayant disparu, ce que nous y apercevons et qui s’y découvre sans merci, c’est la faiblesse de la pensée, la confusion des idées, la fausseté des théories, rendue plus choquante encore par l’éclat de la forme et l’assurance hautaine du ton.

Je n’insiste pas sur les erreurs matérielles qui se pressent en rangs serrés dans la Préface et qui servent à toute l’argumentation de base profonde. « L’humanité a passé par trois âges : les temps primitifs, où la guerre est inconnue, les temps antiques, les temps modernes qui sont l’imposante vieillesse du monde. À ces trois époques de la société correspondent trois formes de la poésie : l’ode, l’épopée, le drame. Elles se succèdent dans un ordre imperturbable. Qu’on examine une littérature en particulier ou toutes les littératures en masse, on arrive toujours au même fait : les poètes lyriques avant les poètes épiques, les poètes épiques avant les poètes dramatiques… La Bible est lyrique. Pindare est plus épique que lyrique. Le chœur de la tragédie grecque est un personnage bizarre et qui y accuse le caractère de l’épopée… Les anciens n’ont pas exprimé la laideur ; ils n’ont presque pas fait de place à la comédie ; l’œuvre d’Aristophane est aisément négligeable. L’antiquité uniformément grave répand sur toutes les créations une beauté monotone. Le christianisme a inventé l’idée de la vie future, celle de la spiritualité de l’âme, et la mélancolie. L’esprit d’examen est né au temps de l’invasion des barbares. Longin est un des maîtres de la pensée moderne et fait face à saint Augustin… Scaramouche, Arlequin et Crispin procèdent directement de l’influence du christianisme sur la littérature. Chapelain représente l’épopée en France de la même manière que Corneille y personnifie la tragédie. La Pucelle a précédé le Cid. Racine est élégiaque, lyrique, épique ; il est regrettable seulement qu’un don lui ait manqué, celui du théâtre. Molière est admirable surtout par son style. Molière était triste, Beaumarchais morose… » Mais à quoi bon prolonger l’énumération ?

Si grossières que soient ces erreurs, et de quelque ignorance qu’elles témoignent, ce ne sont pas, au point de vue où nous nous plaçons,