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temps relégué au second plan dans l’œuvre de Victor Hugo ; par bonheur, « une mesure libérale du ministre de l’instruction publique a restauré la Préface et l’a mise au rang des livres classiques : en attendant qu’on l’explique en rhétorique, on l’a commentée dans les Universités. » On le voit, ce n’est plus la poésie de Victor Hugo qui est en cause, ce sont ses théories ; le Victor Hugo dont il s’agit de faire un classique, ce n’est plus le poète, c’est l’esthéticien, l’historien, le penseur ; c’est celui que nous avons quelque peine à admirer, mais surtout c’est celui en qui nous nous refusons énergiquement à saluer un éducateur.

Admettrait-on même qu’on dût faire choix d’un « art poétique » du romantisme pour le mettre en pendant avec celui du classicisme, il faudrait se hâter d’ajouter que la Préface de Cromwell ne saurait à aucun titre remplir cet office. Le Génie du christianisme et l’Allemagne, tels sont les livres initiateurs qui ont déterminé le mouvement romantique ; et de fait Victor Hugo y a largement puisé, comme aussi bien au Cours de littérature dramatique de Schlegel et au Racine et Shakspeare de Stendhal. Si encore il avait toujours compris les idées qu’il empruntait ! Mais en les transcrivant, il les déforme, et les questions, après que sa plume y a passé, en demeurent plus obscures. D’ailleurs la Préface n’a pas une portée générale ; destinée à mener l’école nouvelle à l’assaut du théâtre, elle ne concerne directement que les destinées d’un genre : celui où Victor Hugo et ses amis ont le moins bien réussi. Le théâtre romantique n’est pas né viable : cela diminue d’autant l’intérêt qui s’attache à sa genèse. Ajoutez que sur beaucoup de points la théorie ne concorde pas avec les œuvres. Ce qui revient à Victor Hugo, c’est d’avoir appuyé de toutes ses forces et fait verser le théâtre romantique du côté où il penchait. Le mélodrame, alors au temps de sa plus grande faveur, menaçait de se hausser en dignité et de supplanter la tragédie ; Victor Hugo l’y aide en préconisant le mélange des genres, l’emploi des tons heurtés et des effets de contraste. Doués de l’imagination lyrique, il s’agissait de savoir si les jeunes écrivains seraient capables de sortir d’eux-mêmes pour faire au théâtre œuvre impersonnelle ; Victor Hugo leur enlève ce souci et les délivre de ce scrupule en déclarant que la poésie lyrique est ce qui convient le mieux au drame. Depuis longtemps un mouvement se dessinait qui allait à diminuer la valeur psychologique des pièces de théâtre pour y augmenter les élémens de spectacle : Victor Hugo, en exagérant l’importance de la « localité exacte, » développe chez les auteurs et dans le public le goût pour le décor et le costume, pour le