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Déjà, en 1895, 170 millions d’onces, soit plus de 5 millions de kilogrammes d’argent, ont été apportés sur le marché. La production de 1896 paraît avoir encore augmenté et s’être rapprochée de 6 millions de kilogrammes, le double de ce qu’elle était en 1886. En dépit des plaintes des mineurs, le prix de revient ne cesse de s’abaisser et de permettre à la production de croître parallèlement à la baisse. La consommation industrielle du métal s’est développée à mesure que le cours s’est déprécié ; mais augmentera-t-elle assez pour absorber dans l’avenir l’excédent qui ne trouvera plus d’emploi monétaire ? C’est ce qui est douteux. Il ne faut pas oublier que c’est précisément la vertu monétaire de l’or et de l’argent, qui a contribué à travers les siècles à en rendre l’emploi désirable par beaucoup de gens. Ceux qui avaient de la vaisselle plate y voyaient, non seulement un objet de luxe, mais aussi une sorte de réserve suprême, qu’on faisait monnayer aux jours de détresse, comme Louis XIV avant Denain. Cette qualité une fois enlevée à l’argent, sera-t-il aussi recherché pour ces emplois qu’il l’était auparavant ? Les Indiens continueront-ils à thésauriser en lingots et en ornemens d’argent, quand ils sauront que ces lingots, ces bijoux ne peuvent plus être transformés en roupies ?

Quoi qu’il en soit, nous approchons à pas rapides du moment où le cours de l’argent sera l’expression véritable de la mise en présence de l’offre et de la demande commerciales ; les rares emplois monétaires qu’il pourra encore trouver se limiteront à la frappe intermittente de quelques pièces divisionnaires. Dans beaucoup de pays, la refonte d’anciennes monnaies libératoires et leur transformation en monnaies d’appoint évitera même aux gouvernemens la nécessité d’acheter de nouveaux lingots sur le marché, de sorte que la demande monétaire finira par être à peu près nulle. Le problème du prix de l’argent se posera alors dans toute s’a crudité. La défaite du parti de l’argent aux Etats-Unis, dont témoigna l’élection de Mac Kinley ou plutôt la non-élection de Bryan, a déjà accéléré le mouvement de baisse. Après s’être pendant plusieurs années tenu aux environs de 100 francs, le kilogramme d’argent est tombé à 87 francs. Ce n’est pas ici le lieu de prophétiser : mais il serait surprenant qu’à la longue ce métal se relevât et se maintînt à des cours supérieurs, en dépit d’oscillations dues à des circonstances accidentelles et capables de déterminer une hausse passagère.