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grandes-duchesses, l’assit à sa table, et comme il avait la manie de la chevalerie, il lui conféra l’ordre de Malte dont il était grand-maître. Tous les drapeaux se cravatèrent des couleurs de la favorite : rouge carmin ; tous les officiers de l’armée et du service civil, jusqu’à ceux des cuisines, durent se parer de ces rubans. Enfin Lapouchine, le père, devint prince et reçut 80 000 roubles en revenus, avec 7 000 Polonais. C’était, comme à Naples, de quoi confondre « la moderne Sodome » !

Les Anglais réclamaient des mesures plus pratiques ; Paul, dans un intermède de sa pastorale héroïque, consentit à les écouter. La nouvelle de la déclaration de la guerre par les Napolitains le décida. Il l’annonça à Londres le 17 décembre 1798, et le 24, il reçut Withworth : il promit aux Anglais un corps russe de 45 000 hommes et le corps de Condé, moyennant 900 000 livres sterling par an, ou 75 000 livres par mois, et 225 000 livres d’entrée en campagne. Il y mit une condition : les troupes marcheront a aussitôt que le roi de Prusse se résoudra d’attaquer la Hollande et d’ôter aux Français ce qu’ils se sont approprié du côté des Pays-Bas, et, en général, au-delà du Rhin où nous ne sommes pas disposés à nous opposer à son agrandissement. Nous avons même l’assurance du comte Cobenzl qu’excepté les trois électorats ecclésiastiques, ils (les Autrichiens) ne s’opposeront pas à ce que le roi de Prusse garde les pays qu’il pourra conquérir de ceux que les Français se sont appropriés par le traité de Campo-Formio[1]. » C’est l’esprit des traités de Vienne en 1815, et on le voit par le préambule du traité qui fut signé, sur ces bases, à Pétersbourg, le 29 décembre, entre la Russie et l’Angleterre : « Concert destiné à mettre un terme aux succès des armes françaises, à l’extension des principes anarchiques, et à amener une paix solide ainsi que le rétablissement de la balance de l’Europe… à faire, s’il est possible, rentrer la France dans les limites où elle était renfermée avant la Révolution[2]. »

Dans le même temps, la Russie traita avec Naples[3]. Paul promettait 10 000 hommes qu’il enverrait en Dalmatie, où ils s’embarqueraient. Il poussa les Turcs à la guerre et les décida à s’allier avec Naples, ce qu’ils firent, le 21 janvier 1799 ; il signa

  1. Besborodko à Woronzof, à Londres, 17 décembre 1798, en français. — Archives Woronzof, t. XI, p. 28, 265. — Hüffer, t. II, ch. I et IV.
  2. Martens, Traités de la Russie, t. IX, Angleterre, p. 418.
  3. Sur la date de ce traité, voir Hüffer, t. II, p. 239-241.