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prévisions ; c’est surtout parce qu’ils sentent venue l’heure de faire fructifier et de répandre par le monde les immenses richesses endormies dans l’Empire du Milieu. — Pour l’exploitation de la Chine, les Russes tiennent à n’être devancés par personne.

C’est devenu un lieu commun de parler du péril jaune. On se souvient de ce dessin où l’empereur Guillaume II symbolisait la menace de l’invasion jaune prête à fondre sur l’Europe et à terminer par un engloutissement général nos querelles intestines. Ainsi conçu, le danger jaune n’existe pas. Les Chinois sont, il est vrai, trois cent cinquante ou quatre cent millions ; répandus sur l’Europe, ils la submergeraient. Mais tous sont ou de petits propriétaires cultivant avec amour et profit un minuscule coin de terre, ou de petits commerçans absorbés dans leur négoce, ou encore des ouvriers accomplissant, avec une inlassable patience, les plus humbles besognes. L’histoire n’offre pas d’exemple d’une invasion faite par un peuple de petits propriétaires et de petits commerçans. Le danger jaune n’est pas là. Race sobre, tenace, laborieuse et économe, les Chinois ne sont pas des conquérans : ils sont, et surtout ils pourraient être des producteurs. Le péril prochain est, comme l’a montré ici même M. d’Estournelles de Constant[1], un péril économique et social : il sera imminent lorsque des peuples plus hardis, moins enfoncés dans une routine séculaire, disposant de capitaux et de soldats, auront commencé cette mise en valeur de la Chine dont ils se disputent déjà les profits. La question « qui exploitera la Chine ? » est posée.


I

Pour cette gigantesque opération, plusieurs États européens, américains ou asiatiques sont en concurrence. — Notre but dans cette étude sera d’indiquer leurs prétentions respectives, d’étudier leurs moyens et leurs chances de succès[2].

Au premier rang par l’ancienneté de ses rapports avec la Chine, par la continuité de ses visées politiques, apparaît la

  1. Revue du 1er avril 1896.
  2. Nous devons l’idée première de cet article à un voyageur qui eut la bonne fortune de se trouver en Extrême-Orient au moment de la guerre sino-japonaise. Nous lui devons des renseignemens précieux et des impressions que l’on reconnaîtra facilement pour celles d’un témoin oculaire. Sa précieuse collaboration nous a aidé dans la conception comme dans la rédaction de ce travail ; nous tenons à l’en remercier ici bien sincèrement.