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secours de la grâce divine. Vous devez avouer que cette conclusion, où l’âme sauvée s’élance au ciel, était très difficile à composer ; et au milieu de ces tableaux supra-sensibles, dont on a à peine un pressentiment, j’aurais pu très facilement me perdre dans le vague, si, en me servant des personnages et des images de l’Eglise chrétienne, qui sont nettement dessinés, je n’avais pas donné à mes idées poétiques de la précision et de la fermeté. »

Si l’on rapproche ces déclarations pour en dégager la substance, on trouvera que Gœthe distinguait dans son chef-d’œuvre :

Une part d’impressions personnelles, « réalisées poétiquement », dont l’enchaînement constitue la plus grande partie du premier Faust ;

Une représentation plus générale et symbolique du monde, dans le second Faust ;

Plusieurs idées abstraites, qui ne sont point le but essentiel de l’œuvre, mais qui s’y sont introduites ;

Une idée d’ensemble (quoiqu’il ait une fois affirmé qu’il n’y en avait point) : celle du salut de Faust par l’effort.

Cette explication est plus claire, plus précise, plus juste qu’aucune de celles des commentateurs, lesquelles se ramènent presque toutes à choisir l’un ou l’autre de ces traits, pour en exagérer l’importance aux dépens de celle des autres. On peut l’accepter pour fil conducteur à travers l’œuvre : elle mérite plus de confiance que les volumes petits ou gros entassés autour du poème. Et d’ailleurs, les diverses catégories des critiques, les historiens, les philosophes, les érudits, les philologues, y trouveront chacune leur compte : elle est synthétique ; c’est peut-être ce trait qui la rapproche de la vérité.

En lisant Faust, il importe avant tout de penser sans cesse à la façon singulière dont il fut composé, haché par la vie, abandonné pour d’autres œuvres, repris avec ferveur, oublié, et devenant enfin le sommet de cette fameuse « pyramide » que Gœthe voulait élever par l’entassement de ses actes, de ses pensées et de ses écrits. Là est le secret de sa séduction, comme aussi de son défaut : le manque d’unité. M. Kuno Fischer, qui demeure malgré tout un des commentateurs les plus clairvoyans, l’a bien vu sans vouloir le reconnaître : « L’unité de la tragédie de Faust, dit-il en arrivant au terme de sa longue étude, se trouve dans la personne et dans le développement du poète : c’est pour cela qu’elle est plus vivante, plus originale, plus ample que celle