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sans réserve la grandeur de l’artiste et du travailleur, debout à côté de l’œuvre achevée qui incarne toute son âme.


IV

Maintenant, j’entre en tremblant dans la forêt des commentaires.

C’est un taillis épais et sombre, — la Selva oscura dont il est parlé dans l’autre « poème mondial ». Des rameaux épais pendent lourdement sur le sol, où rampent des ronces et des lianes. De-ci, de-là, quelques rais de lumière filtrent à travers le feuillage. Et, dans cette ombre tiède, la végétation est d’une incroyable richesse. Les arbres, les arbustes, les buissons croissent et multiplient avec une abondance de forêt des tropiques. Il n’en est aucun qui, à peine jailli du sol, n’en produise aussitôt mille autres. Ils s’enchevêtrent, ils s’entre-croisent, ils s’entre-choquent sans réussir à s’entre-détruire. C’est une vie mystérieuse et folle, luxuriante et fastidieuse, intarissable et grotesque. Malheur à qui se risque dans ces parages ! Voi ch’entrate, — armez-vous d’une robuste patience[1] !

Ces arbres, ces arbustes, ces buissons que je viens d’évoquer par image, ce sont les philosophes, les philologues, les théologiens, les historiens, les érudits et les Gœthiens : car ils se sont tous mis à la besogne. Expliquer Faust est devenu une position sociale. On l’a couvert d’in-octavo et de brochures : le poème disparaît, écrasé, étouffé, dévoré. Chacun de ces rats, pour en avoir absorbé un morceau, croit s’être rempli de génie. Exception faite pour quelques-uns, qui demeurent par miracle maîtres de leur intelligence, ils sont niais et prétentieux, téméraires et vains. On voudrait leur dire, comme Faust à Wagner : « Vos discours si brillans, où vous faites si belle frisure aux bagatelles humaines, sont stériles comme le vent brumeux qui si file en automne à travers les feuilles sèches ! » On ne peut s’empêcher de s’écrier, comme l’écolier qu’a prêché Méphistophélès : « Tout cela m’abasourdit comme s’il me tournait une roue de moulin dans la tête ! »

Les allégoristes et les symbolistes méritent la palme. Il n’est interprétation, compliquée jusqu’à l’absurde, que n’ait inventée

  1. Voir la brochure de M. Kuno Fischer : Die Erklärungsarten des Gœtheschen Faust ; Hedellberg. 1889.