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avec le génie de la Renaissance. Mais, tandis que celui-ci est damné par sa curiosité, celui-là sera sauvé par elle : car « l’effort de l’homme vers la vérité ne le livre pas à Satan », et « Prométhée n’a rien de diabolique. » Ce trait décisif marque la transformation qu’a subie le personnage, qui demeure au même degré représentatif et « national ».


II

Dès l’enfance, Gœthe connut le Faust des marionnettes ; plus tard, celui des livres de Spiess et de Widmann. A Leipzig, dans le caveau d’Auerbach, il put contempler les peintures naïves qui illustrent quelques-uns des épisodes de la légende. Les études d’occultisme qui l’occupèrent un instant à Francfort, sous l’influence de Mlle de Klettenberg, contribuèrent peut-être à retenir son attention sur la figure du fameux magicien. Pendant son séjour à Strasbourg, où il assista probablement à une représentation de la pièce populaire, au moment même où il se passionnait pour la Renaissance allemande, il songea à s’emparer du sujet. Dès lors, il y revint sans cesse. Les critiques, qui ont étudié la question avec autant de sagacité que de minutie, croient qu’il commença à s’occuper de ce projet dès 1770 ou 1771 ; il y travailla sûrement, avec zèle, de 1770 à 1775, pendant la première période de sa grande activité littéraire. Ensuite, pendant ses années de paresse, il abandonna son œuvre commencée. Qu’il s’y intéressât toujours, on n’en saurait douter : car il en lut des fragmens à la cour de Weimar[1]. Il les communiqua même à Mlle de Göchhausen, qui aimait à écrire et qui en prit une copie, — peut-être sans autorisation. Longtemps inconnue, cette copie précieuse fut retrouvée à Dresde, parmi les papiers de « Thusnelda, » par M. Erich Schmidt, — je vous laisse à penser avec quelle joie : « Je regardai le commencement et vis aussitôt que les premiers vers divergeaient ; je courus à la fin, et, avec une émotion que beaucoup partageront, je constatai que la scène du cachot était en prose. Nul doute : grâce au zèle infatigable de Mlle de Göchhausen, j’avais retrouvé le Faust original conservé dans une

  1. Une de ces lectures se trouve mentionnée dans une lettre de F. L. de Stolberg à la comtesse Bernstorff, en date du 6 décembre 1775. — Wieland fait allusion à l’œuvre de formation, dans un petit morceau intitulé : Gœthe und die jüngste Niobetochter, publié dans le t. IX du Gœthe-Jahrbuch, 740.