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homogène, une espèce de biographie : elles furent alors recueillies en un petit volume, que publia l’imprimeur Jean Spiess, à Francfort-sur-le-Mein, le 4 septembre 1587.

Ce petit livre fut accueilli avec une telle faveur que, pendant les années qui suivirent, on le réimprima plusieurs fois, non sans le remanier et le développer. Douze ans après sa première publication, entre autres, un théologien protestant, nommé G. R. Widmann, en publiait à Hambourg une version nouvelle, qui en accentuait les tendances religieuses et prédicantes, et qui supplanta l’édition de Spiess.

Ces deux versions, celle de Spiess et celle de Widmann, constituent la source où puisèrent, jusqu’à Gœthe, les poètes de qualités inégales qui s’emparèrent du sujet. On y trouve la forme première du pacte, longuement discuté entre Faust et Méphistophélès, par lequel celui-ci s’engage à servir pendant vingt-quatre ans le malheureux nécromancien, qui, en échange, se livre à lui « corps, âme, chair, sang et biens, et cela pour son éternité » ; beaucoup de discussions sur le ciel, l’enfer, l’astrologie, la création du monde, les phénomènes naturels, etc. ; de nombreuses anecdotes sur l’usage que fait Faust du pouvoir qu’il a acheté si cher. Quelques-unes seulement ont été retenues par Gœthe, entre autres celle du mariage avec Hélène ; la plupart sont d’une extrême puérilité, et semblent démontrer que la plus grande joie du magicien fut de stupéfier les simples d’esprit : c’est ainsi qu’il s’amusa à planter un bois de cerf sur la tête d’un chevalier, à manger la charretée de foin d’un paysan, avec la charrette et le cheval, à vendre à un maquignon un cheval illusoire (opération peut-être moins innocente que les autres), et ainsi de suite. Enfin, les deux versions de Spiess et de Widmann racontent longuement, — avec la complaisance qu’ont les dévots pour les supplices des impies, — les dernières années de Faust, que l’angoisse envahit à mesure qu’approche la redoutable échéance, puis ses derniers jours, ses plaintes, les railleries de Méphistophélès, et sa « fin horrible et effroyable, dans laquelle il sera profitable à tout chrétien de se contempler, et dont il doit se préserver. » En somme, telle qu’elle nous apparaît à ce moment de son histoire, dans ses deux formes principales, cette légende est assez médiocre. Le héros (à l’inverse de saint Cyprien, du pape Silvestre II, de quelques autres parmi ses frères en damnation) en est un ambitieux fort ordinaire, épris surtout de jouissances matérielles, que