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on lit dans les yeux francs un effort calme et sûr : au premier plan, la blouse blanche, les couleurs préparées sur la palette ressortent crûment : l’effet principal veut être absolument simple. On retrouve au second plan l’habileté chercheuse de l’artiste dans l’éclairement du fond d’atelier où des reflets savamment étudiés font ressortir la chair nue d’un modèle. Le tableau produit une impression de ressemblance qui s’impose : on sent qu’on ne peut concevoir différente la physionomie du peintre qui l’accomplit ; le geste, le regard, expliquent les caractères extérieurs de l’ouvrage. C’est le portrait d’un homme et d’un talent.

L’œuvre de Zorn, dans son ensemble, est jusqu’aujourd’hui la plus claire manifestation du réalisme original de la peinture suédoise. Nous avons vu que les œuvres les plus significatives de la génération contemporaine sont inspirées de principes semblables, empruntés aux théories françaises. Comment les Suédois ont-ils complété et transformé ces élémens venus de France ? Ainsi que les réalistes de notre école, ils se proposent la vérité comme but et l’observation comme moyen. Leur observation veut être exacte, précise, générale : elle considère dans sa totalité le fait ou l’aspect de la réalité ; mais elle se défie de l’outrance, de la déformation involontairement causée par le désir de prouver : elle est prudente et sincère. Les Scandinaves ont, sous un mysticisme parfois exalté, un bon sens solidement équilibré, qui sait mettre au point les détails d’un ensemble et conserver leur valeur relative : ils ont le sens du réel, alors même qu’ils rêvent ; il n’est pas de pays où la poésie légendaire ait un souci plus grand des vraisemblances matérielles. Voilà qui doit les faire réalistes dans la force du terme. Seulement ils n’ont jamais admis, ne pouvant le comprendre, qu’une œuvre d’art peut être une copie impersonnelle, que l’artiste doit représenter des abstractions de forme et de couleurs sans tenir compte de l’impression qu’il éprouve. Ils sont d’accord en ce point avec la plupart des écoles d’aujourd’hui ; mais il faut leur rendre ce témoignage qu’ils ont, dès leurs premiers essais dans le genre nouveau, revendiqué le droit nécessaire et irréductible de la personnalité de l’artiste. Et ils superposent au réalisme un sentiment qui est à eux, qui est le résultat de toutes les influences parallèles de leur race et de leur milieu : les conditions de leur vie, les caractères de leur pays leur mettent au cœur un amour de la beauté naturelle et du plein air. Ils peignent les choses que leur offre la nature,