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L’ART ET LES ARTISTES
DE LA SUÈDE


I

Voici quelques années déjà que la curiosité errante du public parisien s’avisa de s’intéresser à l’activité intellectuelle des peuples du Nord : caprice irraisonné, né du désœuvrement de la foule, dont les conséquences sont indécises encore, mais dont on prévoit l’importance. Après une période d’infructueuses discussions, où l’enthousiasme ne raisonnait guère et où la critique n’admettait point de réserves, la « mode Scandinave » se précise et tend à devenir un mouvement d’étude sincère : au point de vue littéraire, la transformation peut être considérée comme accomplie.

Des initiateurs bruyans, désireux avant tout d’affirmer par des faits une opposition qui restait théorique en France, nous avaient dévoilé tout d’abord les manifestations les plus hardies des poètes du Nord. Grâce aux maladresses d’admirateurs trop exclusifs, la beauté neuve de ces œuvres s’imposa brutalement et, pendant un temps, on crut à des pays étranges, où les hommes s’agitaient dans une hallucination permanente, où les femmes exaspéraient jusqu’à la folie leur souffrance et leur amour. Bientôt on se sentit en présence d’écrivains d’exception, dont les rêves créateurs dépassaient de beaucoup les limites de leur race et de leur patrie : Ibsen et Strindberg ne demandaient à la Scandinavie qu’un cadre où localiser des démonstrations qui voulaient avoir une portée générale ; dans leur théâtre, chaque personnage prenait la valeur d’un être symbolique. Et nous n’apercevions des mœurs