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recommencer. Et vieux, mais oubliant son âge, M. Canovas recommence, ou plutôt, fidèle à la parole donnée, il « continue l’histoire d’Espagne ». Il la continue dignement, noblement, frappant le sol et en faisant surgir des hommes et de l’argent, malgré tous ceux qui l’abandonnent, changeant en deux années épiques ces deux années terribles, attentif à la garde du roi et du pays, jusqu’à ce que la balle d’Angiolillo le couche dans ce repos sans fleurs et sans livres qui n’était pas celui qu’il rêvait, et qui sera le seul qu’il ait connu.

Si l’Espagne lui paye ce qu’elle lui doit, elle dira qu’il lui a donné vingt-deux ans d’un régime meilleur qu’elle n’en avait eu depuis des siècles, une Restauration qui n’a point versé de sang, ni fait couler de larmes, qui s’est abstenue de représailles, et qui lui vaut plus de libertés qu’une révolution. Les rois chargeront de titres et d’honneurs la veuve et les neveux de ce ministre, qui, plus qu’un dictateur avec l’épée, fut avec l’esprit un faiseur de rois et qui, plus que de la Toison d’Or et de tous ses cordons et de toutes ses plaques, était heureux d’avoir à montrer deux souvenirs : une photographie de la famille royale, portant, au bas, cette dédicace : « A D. Antonio Canovas del Castillo, une famille espagnole reconnaissante », et une cassette renfermant un exemplaire sur parchemin de l’enquête de 1865, qui aboutit à l’émancipation des nègres de Cuba. « Je ne demande pas de miracles aux gouvernemens, s’écriait jadis M. Castelar, parce que j’ai vu de près le gouvernement. » On serait tenté de dire qu’il y eut parfois du miracle, dans ces vingt-deux ans de Restauration, si, manifestement, tout n’y était pas le travail d’une intelligence admirable, servant une admirable volonté. Et l’on conviendra que l’épithète s’applique ici sans hyperbole, pour peu que l’on ne perde pas de vue que l’homme qui a trouvé le temps de tant agir a, d’autre part, trouvé le temps de tout apprendre ; qu’étant le premier politique de l’Espagne contemporaine, il en a pareillement été l’un des premiers orateurs, l’un des premiers philosophes, et l’un des préhistoriens.

C’est Posada Herrera, si je ne me trompe, qui, avec plus de malice que de vérité, a dit de M. Canovas qu’il était : « un orateur du premier ordre, un homme d’Etat du deuxième, et un écrivain