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après l’avoir créée, par une dernière habileté, que tout le monde ne comprendrait pas, la lier sans retour à la monarchie, en lui remettant à son tour le pouvoir. Non seulement le décor et la pompe, mais toute la réalité du pouvoir ; lui démontrer qu’il y avait pour elle quelque chose à faire avec ce régime ; qu’elle pouvait introduire dans le fait par la loi une partie au moins de ses principes et de ses aspirations ; la combattre peut-être quand elle proposait tel ou tel article, mais s’incliner, une fois l’article voté, et surtout, le tour des conservateurs revenu, ne point songer à défaire ce que les libéraux avaient fait : considérer comme droit acquis même le droit acquis contre soi ; par-là, « monarchiser » l’opposition et « libéraliser » la monarchie ; le dessein n’en était ni vulgaire, ni aisé : M. Canovas le conçut et le mena à bien.

En vain, la fatalité, sur sa route, ajouta des obstacles aux obstacles prévus : il dut faire franchir à la monarchie le pas redoutable de la mort prématurée du roi, alors qu’une énigme se posait et que l’on ne savait pas quel serait le successeur à ce trône relevé d’hier et si vite vacant. L’énigme résolue, il restait à pourvoir aux nécessités d’une régence qui devait durer toute une minorité royale et être exercée par une femme, mettant à profit le malheur même, de telle sorte qu’au lieu d’ébranler la monarchie, cette régence lui fît gagner du temps, l’implantât, la consolidât. M. Canovas en sortit par un coup de génie ; et de même que, pour parfaire la Restauration, il n’avait pas hésité à céder la place à M. Sagasta, de même, pour opérer sans accident la transmission de la couronne, il n’hésita pas à s’en remettre aux libéraux, les liant à nouveau et intéressant au succès leur loyalisme plus récent. Le danger ne pouvait guère venir que d’eux, eux seuls, entre les partis d’opposition, représentant un ordre légal et non l’anarchie ; ce danger, en les chargeant de le vaincre, M. Canovas le supprimait.

Le temps passe : le Régence s’assied et s’affirme, solide, pacifique, bienfaisante. Mais voici revenir des jours difficiles : Cuba encore révolté et les Philippines soulevées, le trésor anémié, les bourses étrangères fermées, l’administration accusée ou soupçonnée. Les camps opposés se défient à coups de généraux ; les uns déclament, les autres conspirent ; les libéraux, après dix-huit ans de sagesse, sortent de la Constitution, remontent sur l’Aventin ; la reine est inquiète et indécise ; l’Espagne est secouée comme par un tremblement de terre ; il semble que tout soit à